Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/60

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mande pourquoi je fis ce ridicule étalage d’érudition vulgaire, j’avouerai sincèrement qu’il me répugnait de passer pour un coureur de rues ordinaire, aux yeux de la charmante personne qui se penchait au-dessus de l’épaule de son père, pendant que ce dernier examinait le nom du fabricant gravé sur une petite plaque d’ivoire au fond de l’instrument. Je pus voir aussitôt que Mary éprouva ce sentiment de modestie, si naturel à son sexe, à l’idée d’avoir montré trop de familiarité en présence d’un jeune homme qui était peut-être plus rapproché de sa classe que ne le faisait d’abord supposer sa condition actuelle. Une légère rougeur couvrit ses joues ; mais bientôt le calme regard d’un bel œil bleu montra que ce sentiment était fugitif, et elle se pencha de nouveau sur l’épaule de son père.

Celui-ci me regardant au-dessus de ses lunettes de la tête aux pieds, me dit : — Vous comprenez donc le latin ?

— Un beu, monsir, drès beu. Dans mon bays, tout homme être obligé de defenir soldat pour un temps, et qui sait latin peut defenir serchent ou caboral.

— En Prusse, dites-vous ?

— Ya, Preussen où être le pon kœnig Wilhelm.

— Et parmi vous on cultive beaucoup le latin ? J’ai entendu dire qu’en Hongrie, tous les gens bien élevés le parlaient.

— En Allemagne, pas être ainsi ; nous apprenons tous quelque chose, mais nous pas apprendre toutes choses.

Je pus voir un léger sourire errant sur les lèvres de la charmante Mary ; mais elle réussit à le comprimer, quoiqu’il y eût constamment durant toute notre entrevue un air de malicieuse gaieté dans ses beaux yeux.

— Oh ! je sais, répliqua le ministre, qu’en Prusse les écoles sont bonnes, et que votre gouvernement veille sur les besoins de toutes les classes ; mais je ne puis que m’étonner de voir que vous sachiez le latin. Dans notre pays même où nous nous vantons beaucoup…

— Ya ! répliquai-je d’un accent traînard, dans ce bays, c’être frai, on se fante beaucoup.

Mary se prit à rire de bon cœur, soit à cause de ma phrase en elle-même, soit à cause de la manière un peu comique avec laquelle je l’avais débitée. Quant à son père, sa bonhomie était à l’épreuve ; et, après avoir poliment attendu que mon interruption fut finie, il reprit :