Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/59

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il faudrait de toute nécessité placer des bouées, car la moindre déviation à droite ou à gauche entraînerait la perte infaillible du bâtiment.

Nos deux navigateurs n’étaient de retour à bord du Rancocus qu’à près de trois heures. Ils trouvèrent tout dans l’état où ils l’avaient laissé. Les porcs, les poules et la chèvre, parurent charmés de les revoir, car il leur tardait de recevoir leur pitance accoutumée. Des porcs et des poules se voient à bord de tous les bâtiments ; mais des chèvres, c’est chose plus rare. Le capitaine Crutchely en avait emmené une pour qu’elle lui fournît du lait pour son thé, boisson qu’il aimait presque autant que le rhum, ce qui n’est pas peu dire. Après s’être occupé de la basse-cour, Bob alla rejoindre Marc auprès du cabestan, qui était leur table ordinaire, et ils mangèrent quelques restes de viande froide, car ils n’avaient pas eu le courage d’allumer du feu. Dès qu’ils eurent terminé ce repas frugal, Marc plaça dans le canot deux bouées avec les crampons de fer nécessaires pour les assujettir, et il partit aussitôt avec son compagnon.

Il fallut une heure pour retrouver la passe, et une autre heure pour placer les bouées. Ce travail terminé, on retourna à bord sans perdre un instant, car il y avait toute apparence que le temps allait changer. C’était un moment où il fallait montrer autant de sang-froid que de décision. Il ne restait pas plus d’une heure de jour, et il fallait décider si l’on essaierait de mettre le bâtiment en mouvement, pendant qu’on avait encore la mémoire toute fraîche de la direction à suivre, et avant que l’ouragan éclatât, ou bien si l’on se fierait au câble qui était tendu, pour résister à toutes les atteintes. Marc, malgré sa jeunesse, montrait une grande sagacité dans tout ce qui touchait à sa profession. Il savait que des lames pesantes allaient déferler sur les brisants au milieu desquels le bâtiment était amarré, et il tremblait que le câble ne vînt à chasser et à se rompre, s’il survenait une forte bourrasque qui durât vingt-quatre heures. Ces lames au contraire viendraient s’amortir contre les rochers avant d’arriver à l’île, et il crut qu’il y avait de plus grandes chances de salut à se