Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/281

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barque ne fut plus retenue par la corde, elle fut entraînée rapidement par les vagues, car elle était trop chargée pour qu’il fût possible de la gouverner. Tom immobile la suivait des yeux ; il la vit pour la dernière fois sur le sommet d’une vague écumante, elle semblait descendre dans un abîme, et la vague suivante n’offrit plus à ses regards que quelques débris. Il vit alors des têtes et des bras s’élever au-dessus des ondes ; les uns faisaient les plus grands efforts pour gagner le rivage, car la marée continuant à baisser laissait apercevoir les sables à peu de distance ; les autres, incapables de lutter contre la fureur des flots, ne faisaient que les mouvements que leur inspirait le désespoir.

Le brave marin poussa un cri de joie quand il vit Barnstable mettre le pied sur le sable, entraînant Merry d’une main. Quelques marins gagnèrent le même endroit ; d’autres furent portés un peu plus loin, mais ils arrivèrent au rivage en sûreté. Tom alla se rasseoir sur le pied du beaupré, et détourna ses regards pour ne pas voir les restes inanimés de plusieurs de ses compagnons, brisés contre les rochers avec une force qui leur laissait à peine quelque chose de la forme humaine.

Il ne restait plus alors sur l’Ariel que Dillon et le contre-maître. Le premier avait considéré avec une sorte de désespoir stupide la scène que nous venons de décrire ; mais une idée qui se présenta à son imagination fit accélérer les battements de son cœur, et il s’approcha de Tom Coffin avec cette espèce de sentiment d’égoïsme qui fait paraître plus supportable un malheur sans remède quand un autre le partage.

— Quand la marée sera au plus bas, lui dit-il d’une voix tremblante, quoique ses paroles indiquassent quelque espérance, l’eau ne sera plus assez profonde pour nous empêcher de gagner la terre de pied ferme.

— Il a existé un être, mais il n’en a existé qu’un seul sous les pieds duquel l’eau était la même chose que le tillac d’un vaisseau, répondit le contre-maître d’un ton grave et sérieux, et il faudrait avoir sa toute-puissance pour pouvoir aller d’ici jusqu’aux sables en marchant. Le vieux marin regardait Dillon avec un mélange de mépris et de pitié, et il ajouta : — Si vous aviez pensé plus souvent à lui pendant le beau temps, vous seriez moins à plaindre pendant la tempête.

— Croyez-vous donc que le danger soit imminent ?