Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/282

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— Pour ceux qui ont lieu de craindre la mort. Écoutez ! Entendez-vous ce bruit sous vos pieds ?

— C’est le vent qui frappe contre les flancs du navire.

— C’est le pauvre navire lui-même qui fait entendre ses derniers gémissements. L’eau perce sa quille, et dans quelques minutes le plus beau schooner qui ait jamais fendu les ondes sera semblable aux copeaux qui tombent du tronc d’arbre qu’on équarrit.

— Et pourquoi donc restez-vous ici ? s’écria Dillon d’un air égaré.

— Pour que l’Ariel me serve de cercueil, si c’est la volonté de Dieu. Ces ondes sont pour moi ce que la terre est pour vous. Je suis né sur la mer, et j’ai toujours pensé qu’elle serait mon tombeau.

— Mais, moi, moi, s’écria Dillon, je ne suis pas prêt à mourir, je ne puis mourir, je ne veux pas mourir !

— Pauvre insensé ! il faut que vous partiez comme le reste des hommes. Quand l’heure du quart de la mort est arrivée, personne ne peut refuser de paraître à l’appel.

— Je sais nager, continua Dillon en courant avec empressement au bord du navire. Si j’avais seulement quelques pièces de bois pour m’aider !

— Il n’y en a plus ; tout a été jeté à la mer ou entraîné par les vagues. Si vous voulez tâcher de sauver votre vie en nageant, ne prenez avec vous qu’une conscience purifiée, le courage du cœur et la confiance en Dieu.

— En Dieu ! répéta Dillon dans un accès de délire ; je ne connais pas de Dieu ! il n’y a pas de Dieu qui me connaisse !

— Silence, blasphémateur ! s’écria le contre-maître d’une voix imposante qui semblait commander aux éléments, silence !

L’espèce de mugissement sourd que faisait entendre en ce moment la quille de l’Ariel, cédant à la pression de l’eau, ajouta encore au désespoir de Dillon ; il ne prit plus conseil que de ses alarmes, et il se précipita lui-même dans la mer.

Les vagues, comme repoussées par les rochers de la côte, formaient des contre-courants au milieu desquels se trouvait le schooner ; la force en était telle, qu’à quelque distance du navire tous les efforts de Dillon ne purent la vaincre. Il était bon nageur, léger, vigoureux, et il lutta longtemps avec le courage du désespoir, excité par la vue du rivage, quoiqu’il ne gagnât pas un pied de terrain.