Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/283

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Le contre-maître, qui avait d’abord suivi des yeux ses mouvements avec une indifférence insouciante, vit alors d’un coup d’œil le danger de la situation de Dillon, et ne pensant plus au destin qui le menaçait lui-même, il lui cria d’une voix si forte que le vent la porta aux oreilles de ceux de ses compagnons qui venaient de gagner les sables :

— Faites une bordée à bâbord ! sortez du courant ! tournez le gouvernail au sud !

Dillon entendit le son de sa voix ; mais déjà comme anéanti par la terreur, il ne put comprendre l’avis qui lui était donné. Un instinct machinal le fit pourtant changer de direction, et il tourna la tête de nouveau du côté de l’Ariel. Le courant établi entre les rochers l’entraînait obliquement jusqu’à peu de distance de l’Ariel. Abrité par le corps du navire, il n’avait plus alors à combattre que les flots ; mais ses forces étaient épuisées, et quoiqu’il luttât encore avec courage, il ne pouvait surmonter la résistance qu’il rencontrait.

Tom Coffin jeta les yeux autour de lui, pour voir s’il trouverait une corde ; mais tous les câbles, tous les cordages avaient été jetés à la mer avec les vergues, ou entraînés par les vagues. Ses regards rencontrèrent en ce moment ceux du malheureux Dillon. Quoique accoutumé à des spectacles d’horreur, le vieux marin porta involontairement la main sur ses yeux pour éviter ces regards rendus terribles par le désespoir ; et quand un instant plus tard il l’eut laissée retomber sur ses genoux, il aperçut Dillon luttant encore contre les flots avec de vains efforts pour regagner le bâtiment naufragé, afin de prolonger de quelques instants une existence dont il n’avait pas su profiter pour se préparer à une autre vie.

— Il va bientôt connaître son Dieu, se dit Tom Coffin, et il apprendra que son Dieu le connaît.

À peine avait-il prononcé ces mots qu’une vague furieuse vint frapper l’Ariel, qui ne put résister à ce choc ; toutes ses planches ébranlées se désunirent, et la mer en entraîna les débris sur les rochers avec le corps du brave et simple contre-maître.