Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/36

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vétéran s’approcha des officiers, et dit, avec le sang-froid qui était le principal trait de son caractère :

— Faites déployer les voiles, monsieur Griffith, et qu’on se dispose à lever l’ancre. Le moment est venu où il faut que nous marchions.

— Oui, Monsieur, oui, répondit Griffith avec empressement. Et à peine avait-il prononcé ces mots qu’on entendit les cris d’une demi-douzaine de midshipmen, qui appelaient à leur devoir le contre-maître et ses seconds.

Il y eut un mouvement général dans les groupes autour du grand mât, près des boute-hors et des échelles ; mais l’habitude de la discipline tint un moment tout l’équipage en suspens. Le silence fut interrompu par le son du sifflet du contre-maître, suivi du cri rauque : — À l’ouvrage, enfants, à l’ouvrage ! Le premier s’éleva, dans la nuit, d’un son flûté à une note aiguë et perçante qui expira sur la surface des eaux ; le second retentit dans tout le navire, comme le murmure sourd d’un tonnerre éloigné.

Le changement produit par ce signal d’usage fut d’un effet magique. On vit des marins sortir d’entre les canons, monter par les écoutilles, descendre des vergues avec une activité insouciante, enfin arriver de toutes parts si rapidement, qu’en un instant le tillac fut presque couvert d’hommes. Le profond silence, qui n’avait été interrompu jusqu’alors que par les conversations à voix basse des officiers, le fut maintenant par les ordres donnés d’un ton ferme par les lieutenants, et que les midshipmen répétaient d’une voix plus grêle, enfin par les cris du contre-maître et de ses seconds, qui s’élevaient par-dessus tous les autres au milieu du tumulte de ces préparatifs.

Le capitaine et le pilote restaient seuls dans l’inaction, au milieu de cette scène d’activité générale, car la crainte avait stimulé même cette classe-d’officiers qu’on nomme communément les inutiles, et ils essayaient de faire quelque chose, quoique leurs compagnons, plus expérimentés, leur rappelassent souvent qu’ils retardaient la besogne au lieu de l’accélérer. Le tumulte cessa pourtant graduellement, et en quelques minutes le silence se rétablit sur le navire.

— Nous sommes en panne, Monsieur, dit Griffith, qui suivait des yeux toute cette scène avec attention ; tenant d’une main un