Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 30, 1854.djvu/273

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Elle me payait de retour, et il y eut un espace de plusieurs années où l’on supposait que nous devions traverser ensemble le vallon de la vie, comme frère et sœur, vieux garçon et vieille fille. Votre père dérangea tous ces plans, et à trente-quatre ans ma sœur me quitta. C’était m’arracher les fibres du cœur, et ce fut un malheur, mon garçon, car déjà elles étaient douloureuses.

John tressaillit. Son oncle parlait d’une voix enrouée, et un tremblement assez violent pour être aperçu du jeune homme parcourut son corps. Les joues du conseiller étaient ordinairement sans couleur ; en ce moment elles parurent d’une pâleur effrayante.

— Le voilà donc, pensa John Wilmeter, ce vieux garçon insensible qui, selon l’opinion d’autrui, ne vivait que pour lui ! Que le monde connaît peu ce qui se passe au dedans de nous ! On a raison de dire : Le cœur est un abîme.

Dunscomb reprit bientôt l’empire de ses sens. Étendant un bras, il saisit la main de son neveu, et lui dit avec tendresse :

— Je ne suis pas souvent affecté de cette manière, Jack, comme vous devez le savoir. Un vif souvenir des jours depuis longtemps passés vient de traverser mon esprit, et je crois avoir montré quelque faiblesse. Vous connaissez peu mon histoire, mais quelques mots suffiront pour vous en raconter tout ce que vous en devrez jamais savoir. J’étais à peu près de votre âge, Jack, quand j’aimai Marie Millington, grand’tante de Michel ; je lui fis la cour, et je devins son fiancé. En étiez-vous instruit ?

— Pas entièrement, Monsieur. Sarah m’a dit quelque chose d’approchant ; vous le savez, les jeunes filles sont au courant des anecdotes de famille plus vite que nous autres hommes.

— Alors elle a probablement ajouté que j’ai été cruellement, lâchement trompé, en faveur d’un homme plus riche. Marie se maria et laissa une fille, qui se maria aussi de bonne heure à son cousin Franck Millington, cousin du père de Michel. Vous devez voir maintenant pourquoi j’ai ressenti un si profond intérêt pour votre futur beau-frère.

— C’est un bon garçon, lui, et le sang d’un trompeur ne coule