Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 30, 1854.djvu/400

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— Jamais ; du moins tant que mon pays sera si indulgent pour les femmes.

— Mon Dieu ! oui, vous avez raison en cela, Mildred. En un sens, c’est bien ici le paradis de la femme, quoiqu’on fasse moins attention à leur faiblesse et à leurs besoins que dans d’autres pays. Dans toute contrée chrétienne, à l’exception de celle-ci, je crois, on peut forcer une femme à faire son devoir. Ici elle est libre comme l’air qu’elle respire, tant qu’elle a soin de ne pas être répréhensible sur le seul point essentiel. Vous avez raison de rester dans votre patrie, dans la position où vous êtes, c’est-à-dire si vous persistez encore à vouloir jouir d’une fausse indépendance, condition que la nature n’a jamais destinée à votre sexe.

— Et vous-même, Monsieur, la nature ne vous a-t-elle pas destiné au mariage comme un autre ?

— C’est vrai, répondit Dunscomb d’un ton solennel, et j’aurais satisfait à cette obligation si cela eût été en mon pouvoir. Vous savez bien pourquoi je n’ai pas été époux, l’heureux père d’une heureuse famille.

Les yeux de Mildred se remplirent de larmes ; elle avait appris l’histoire de sa grand’mère, et avait justement apprécié le malheur de Dunscomb. Elle prit la main de son compagnon par un mouvement inattendu et la porta à ses lèvres. Dunscomb tressaillit, et jetant un rapide regard sur la figure de Mildred, il y lut tout son repentir et ses regrets. C’était par ces marques soudaines de jugement droit et de sensibilité vraie que madame de Larocheforte parvenait à maintenir sa position. Les preuves de sa folie étaient si restreintes, les accès avaient lieu si rarement, maintenant que Mildred était entourée de personnes qui lui portaient intérêt, non pas pour de l’argent, mais par amitié pour elle, que ses sentiments s’étaient adoucis, et qu’elle ne considérait plus les hommes et les femmes comme des êtres placés auprès d’elle pour l’exploiter et la persécuter. En donnant ainsi carrière à ses affections, son esprit se redressa peu à peu, et son état physique s’améliora. Mac-Brain crut qu’avec des soins et une grande attention à éloigner d’elle les émotions vives et les contrariétés, sa raison ne tarderait pas à reprendre son empire.