Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/120

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— N’entendez-vous pas ce whip-pour-will[1] solitaire dont les cris plaintifs semblent déplorer notre approche ?

— Fi ! c’est trop lugubre et par trop monotone ; j’aimerais autant manger du porc frais pendant un mois. Mais pourquoi nos fifres ne nous jouent-ils pas un petit air ?

— Jolie manière de tenir notre expédition secrète, après toutes les précautions qui ont été prises pendant la journée ! reprit Lionel ; votre enjouement l’emporte cette fois sur votre prudence. Je n’aurais pas cru que vous vous fussiez trouvé dans un tel accès de gaieté à la veille d’une marche longue et fatigante.

— Nargue de la fatigue ! s’écria Polwarth ; nous allons seulement prendre position aux Collèges pour protéger nos fourrageurs. Nous allons à l’école, Lionel ! figurez-vous que ces havresacs contiennent nos provisions d’écoliers, nos cahiers et nos livres, et, avec un peu d’illusion, vous pouvez vous croire encore enfant.

Il s’était opéré un changement total dans l’humeur de Polwarth, lorsque, au lieu des pénibles idées qui étaient venues l’assaillir à la première nouvelle d’une expédition nocturne, il s’était trouvé assis sur une bonne barque dans une position qui lui semblait tenir presque de la volupté, et il continua à parler sur le même ton jusqu’à ce que les barques fussent arrivées à un endroit où le rivage s’avançait en pointe dans cette partie de la baie qui baignait la partie occidentale de la péninsule de Boston. Les troupes débarquèrent alors, et furent formées de nouveau en peloton avec toute la diligence possible. La compagnie de Polwarth fut placée, comme auparavant, à la tête de la colonne d’infanterie légère, et eut ordre de suivre un officier d’état-major qui, monté à cheval, allait en avant à quelque distance. Lionel dit à Meriton de suivre avec les chevaux la même route que les troupes ; et se plaçant à côté du capitaine, il partit avec lui au signal donné.

— Ah ! nous serons bientôt à couvert dans l’antique Harvard, dit Polwarth en se frottant les mains et en montrant du doigt les humbles bâtiments de l’université ; tandis que vous vous repaîtrez cette nuit de belles réflexions, moi je ferai un repas plus subs… En bien ! ce quartier-maître est-il aveugle ? Quel chemin prend-il donc ? Ne voit-il pas que les prairies sont à moitié couvertes d’eau ?

  1. Espèce d’émerillon. Voyez, sur cet oiseau, d’Amérique, une note dans le Dernier des Mohicans.