Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/180

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sentir sur la place du marché, car Lionel, en y passant, n’y vit qu’un bien petit nombre des villageois qui le remplissaient ordinairement à une pareille heure. Dans le fait, on rouvrait les boutiques qu’avec précaution ; et l’on regardait en l’air comme si l’on eût douté que le soleil pût répandre la lumière et la chaleur comme dans des temps de tranquillité ordinaire. La crainte et la méfiance avaient pris la place de la sécurité dans toutes les rues de la ville.

Quoique le soleil se levait à peine, peu de personnes étaient dans leur lit, et l’on voyait sur le visage de ceux qui se montraient qu’ils avaient passé la nuit en veillant. De ce nombre était Abigaïl Pray, qui reçut la visite du major dans sa petite tour, où il la trouva entourée de tout ce qu’il y avait vu la veille, sans y remarquer aucun changement, si ce n’est dans ses yeux noirs, qui brillaient quelquefois comme des diamants au milieu de ses rides, mais qui alors étaient ternes et enfoncés, exprimant plus fortement qu’à l’ordinaire la détresse et les soins pénibles de cette femme.

— Vous me voyez de bien bonne heure, Mrs Pray, dit Lionel en entrant, mais une affaire de la plus grande importance exige que je voie sur-le-champ le vieillard qui loge chez vous. Il est sans doute dans sa chambre ; je vous prie de lui annoncer ma visite.

Abigaïl secoua la tête avec une expression de solennité, et lui répondit d’une voix presque éteinte :

— Il est parti.

— Parti ? s’écria Lionel ; où est-il allé ? quand est-il parti ?

— Il semble que la colère de Dieu soit répandue sur ce pays, Monsieur. Les jeunes, les vieux, les malades, les bien portants, tous ne songent qu’à verser le sang, et il n’est pas au pouvoir de l’homme de dire où ce torrent s’arrêtera.

— Qu’a tout cela de commun avec Ralph ? Où est-il, femme ? Osez-vous me débiter des mensonges ?

— À Dieu ne plaise que mes lèvres s’ouvrent jamais encore pour le mensonge, et surtout en vous parlant, major Lincoln ! Cet homme étonnant, qui semble avoir vécu si longtemps qu’il peut lire même dans nos plus secrètes pensées, ce que je ne croyais au pouvoir de personne, a quitté cette maison, et j’ignore s’il y reviendra jamais.