Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/181

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— Jamais ! J’espère que vous ne l’avez pas chassé de votre misérable demeure par la violence ?

— Ma demeure est comme celle des oiseaux de l’air, c’est la demeure de quiconque est assez malheureux pour n’en avoir pas d’autre. Il n’y a pas un seul point sur la terre que je puisse dire être à moi, major Lincoln. Mais j’aurai un jour une autre habitation ; oui, oui, une habitation étroite qui nous attend tous ; et fasse le ciel que la mienne soit aussi tranquille qu’on dit que l’est le cercueil ! Mais je ne vous mens pas, major Lincoln ; pour cette fois je ne cherche pas à tromper. Ralph et Job sont partis ensemble comme la lune se levait, mais où sont-ils allés ? c’est ce que j’ignore, à moins que leur dessein ne soit de joindre les gens armés qui sont hors de la ville. Ralph m’a fait des adieux et m’a dit des choses qui retentiront à mes oreilles jusqu’à ce que la mort les ait closes pour toujours.

— Allé joindre les Américains ! et avec Job ! dit Lionel en se parlant à lui-même sans faire attention aux derniers mots prononcés par Abigaïl Pray. Cet acte de témérité mettra votre fils en grand danger, Mrs Pray ; il faudrait y prendre garde.

— Job n’est pas du nombre de ceux que Dieu rend responsables de leurs actions, et l’on ne peut le traiter comme les autres jeunes gens de son âge. Ah ! major Lincoln ! on n’aurait pu voir un plus bel enfant dans toute la colonie de la baie de Massachusetts, jusqu’à ce qu’il eût atteint sa cinquième année ; mais ce fut alors que le jugement du ciel tomba sur la mère et sur le fils ; une maladie le rendit ce que vous le voyez, un être qui a la forme de l’homme sans en avoir la raison, et je devins la misérable que je suis. Mais tout cela a été prédit, et j’en avais été bien avertie ; car n’est-il pas écrit que Dieu punira les péchés des pères sur les enfants, jusqu’à la troisième et quatrième génération ? Grâce à Dieu, mes chagrins et mes péchés finiront avec Job, car il n’y aura jamais de troisième génération qui en porte la peine.

— Si vous êtes coupable de quelque faute qui vous pèse sur le cœur, Mrs Pray, toutes les considérations de justice et de repentir devraient vous porter à faire l’aveu de vos erreurs à ceux qui peuvent avoir intérêt à en être instruits, si toutefois vous en connaissez quelqu’un.

Abigaïl leva des yeux inquiets sur Lionel, mais elle, les baissa devant le regard perçant qu’elle rencontra, et les promena égarés