Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/298

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— Et vous aussi, s’écria Mrs Lechmere en se levant sur son séant avec une force et une énergie qui semblaient mettre en défaut la science du médecin et se rire de ses prédictions ; vous aussi, vous m’abandonnez ! vous que j’ai soignée depuis vos plus tendres ans, vous l’enfant de mon cœur ! à qui j’ai prodigué ma tendresse, et que j’ai élevée dans la vertu ; oui, dans la vertu ! je puis le dire hardiment à la face de l’univers ! Vous à qui j’ai su ménager ce mariage honorable, c’est par une noire ingratitude que vous me payez de tout ce que j’ai fait pour vous !

— Ma bonne maman, au nom de Dieu ! ne parlez pas si durement à votre petite-fille ! C’est dans le ciel qu’il vous faut chercher un appui, comme c’est en vous que j’ai toujours cherché le mien !

— Va, éloigne-toi, fille faible et sans énergie ! L’excès du bonheur t’a fait perdre la tête ! Venez ici, vous, ô mon fils ! parlons de Ravenscliffe, cette superbe résidence de nos ancêtres ! parlons des jours heureux que nous passerons encore sous un toit hospitalier. Cette folle que tu as prise pour femme voudrait m’effrayer !

Lionel éprouva une horreur involontaire en écoutant l’espèce de hoquet convulsif avec lequel elle prononça ces paroles caractéristiques en voulant forcer sa voix. Il détourna de nouveau la tête, et se cacha un moment la figure dans ses mains pour s’isoler d’une scène qui devenait hideuse.

— Ma bonne maman, ne nous regardez pas ainsi ! s’écria Cécile respirant à peine ; vous pouvez avoir encore des heures, des jours même devant vous. Elle s’arrêta un instant pour suivre ce regard vide et hagard qui se portait sur tous les objets avec une expression déchirante de désespoir ; puis, dans le sentiment ingénu de son innocence, elle dit au milieu de ses sanglots, en laissant tomber sa tête sur le lit : — Ô mère de celle à qui je dois la vie, que ne puis-je mourir pour toi !

— Mourir ! répéta la même voix aigre et discordante, dans les sons entrecoupés de laquelle on commençait déjà à distinguer le râle de la mort ; mourir au milieu des plaisirs d’une noce ! l’insensée ! Va-t’en ! laisse-moi ! Va, si tu veux, prier dans ta chambre, mais laisse-moi !

Dans l’amertume de son ressentiment, son œil suivit Cécile, qui se retirait en silence dans la pieuse et charitable intention