Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/394

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avez plus d’à moitié raison ; car, si un pauvre diable qui aime son pays et qui combat pour la bonne cause trouve si difficile de tenir ses yeux ouverts à son poste, comment doit se trouver un mercenaire à demi affamé qui se bat pour six pence par jour ? Passez, vieux papa, passez ; vous êtes entrés quatre et il n’en sort que trois ; et s’il s’était passé dans l’intérieur quelque chose qui ne fût pas dans l’ordre, la sentinelle du vestibule devrait le savoir.

En achevant ces mots, le soldat reprit sa promenade en fredonnant un couplet de l’air de Yankee doodle[1], en paix avec lui-même et avec tout le genre humain, sauf l’exception générale des ennemis de son pays. Dire que ce ne fut pas la première fois que l’intégrité la plus pure se laissa endormir par le jargon de la liberté, ce serait peut-être une assertion trop hasardeuse ; mais nous croyons qu’on peut dire, en toute sûreté de conscience, que ce ne fut pas la dernière, quoique notre mémoire ne nous fournisse en ce moment aucun exemple à citer à l’appui de cette preuve de crédulité hérétique.

Ralph ne parut pourtant avoir aucune intention d’en dire plus qu’il n’était nécessaire et que l’esprit du temps ne justifiait ; car, lorsqu’il fut maître de ses mouvements, il continua son chemin avec une rapidité qui prouvait la sincérité du désir qu’il avait de s’éloigner. Quand ils eurent tourné le coin de la rue et qu’ils se trouvèrent à quelque distance de tout danger immédiat, il ralentit le pas pour donner à ses compagnons le temps de le rejoindre, s’approcha de Lionel, et lui dit à demi-voix en serrant le poing d’un air de triomphe :

— Je le tiens maintenant ! il n’est plus dangereux ! Oui, oui, je le tiens, et il est surveillé de près par trois patriotes d’une fidélité incorruptible.

— De qui parlez-vous ? demanda Lincoln ; quel est votre captif, et quel crime a-t-il commis ?

— Je parle d’un homme par la forme, qui n’est qu’un tigre au fond du cœur ; mais je le tiens, répéta le vieillard avec un sourire de satisfaction qui semblait partir du fond de son âme. Un chien, vous dis-je, un véritable chien, et fasse le ciel qu’il boive jusqu’à la lie la coupe de l’esclavage !

  1. L’auteur a déjà parlé de cet air dans le chapitre xx des Pionniers, et dans le chapitre xxxix, où nous avons placé une note qui en fait connaître l’origine. Cet air était devenu surtout populaire depuis l’affaire de Lexington.