Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/413

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non, elle ne peut être sourde à de pareilles plaintes ; et, quand le cœur saigne, la sagesse est folie.

— Lincoln, vos reproches sont hors de saison, dit Cécile avec douceur ; cherchons à remédier au mal, et ne nous occupons pas de ce qui l’a causé.

— Il est trop tard, s’écria la mère désolée, il est trop tard ! ses heures sont comptées, et la mort a déjà le bras étendu sur lui. Puisse Dieu alléger le poids de sa malédiction, et faire que l’esprit prêt à se séparer du corps puisse reconnaître le pouvoir du Très-Haut !

— Jetez ces misérables haillons, dit Cécile en tirant avec douceur l’ouvrage dont Abigaïl s’occupait, et, dans un moment si sacré, ne vous fatiguez pas d’un travail inutile.

— Jeune dame, vous ne connaissez pas encore les sentiments d’une mère ; puissiez-vous n’en jamais connaître les angoisses ! J’ai travaillé pour cet enfant vingt-sept ans ; ne me dérobez pas le peu de moments qui me restent à jouir de ce plaisir.

— Est-il possible qu’il soit si âgé ? s’écria Lionel avec surprise.

— Quel que soit son âge, il est bien jeune pour mourir. Il lui manque la lumière de la raison. Puisse le ciel dans sa merci lui trouver celle de l’innocence !

Jusqu’alors Ralph était resté immobile près de la porte, comme s’il y eût pris racine. Il se tourna vers Lionel, et lui demanda d’une voix à laquelle son émotion prêtait un accent presque plaintif :

— Croyez-vous qu’il meure ?

— Je le crains. Les symptômes que j’aperçois sont rarement trompeurs.

Le vieillard s’avança vers le lit d’un pas aussi rapide que léger, et s’assit à côté, en face de Polwarth. Sans faire attention aux regards de surprise que jetait sur lui le capitaine, il leva la main comme pour ordonner le silence ; et, fixant alors sur les traits du malade des yeux pleins d’un intérêt tendre et mélancolique, il dit d’un ton solennel :

— La mort est donc encore ici ? Nul n’est assez jeune pour qu’elle l’oublie ; il n’y a que le vieillard qu’elle ne veut pas frapper. Dis-moi, Job, quelles visions s’offrent en ce moment à ton esprit ? Vois-tu les demeures sombres et inconnues des damnés ou le séjour brillant habité par les amis de Dieu ?

Au son bien connu de cette voix, un éclair de raison sembla