Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/414

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ranimer les yeux éteints de Job, et il regarda le vieillard avec un air de douce confiance. Le râle qu’on entendait dans son gosier augmenta un instant et puis cessa tout à coup. Enfin il dit d’une voix qui semblait partir du fond de sa poitrine :

— Le Seigneur ne fera pas de mal à celui qui n’a jamais fait de mal aux créatures du Seigneur.

— Les rois, les empereurs et les grands de la terre pourraient envier ton sort, enfant du malheur, continua Ralph. Tu n’as pas encore subi trente ans d’épreuve, et tu vas déjà quitter ton argile ! comme toi j’ai atteint l’âge d’homme, comme toi j’ai appris combien il est dur de vivre, mais je ne puis mourir comme toi ! Dis-moi, Job, jouis-tu de la liberté d’esprit ? Ta chair sent-elle encore la peine et le plaisir ? Vois-tu quelque chose au-delà de la tombe ? Vois-tu un sentier s’ouvrir devant toi dans l’immensité des airs ? N’aperçois-tu dans le tombeau que silence et obscurité ?

— Job va où le Seigneur a caché sa raison, répondit l’idiot d’une voix creuse et sourde comme auparavant ; ses prières ne seront plus des folies.

— Prie donc pour un misérable vieillard qui a supporté trop longtemps le fardeau de la vie, que la mort a oublié, et qui est fatigué de la terre où tout est trahison et péché. Mais ne pars pas encore ; attends que ton esprit puisse porter au pied du trône de merci quelques signes de repentir de cette femme pécheresse.

Abigaïl fit entendre un profond gémissement ; son ouvrage lui tomba des mains, et sa tête se pencha encore sur sa poitrine. Tout à coup elle se leva, repoussa les mèches de ses cheveux qui, quoique grisonnants, montraient encore qu’ils avaient été du plus beau noir, et regarda autour d’elle d’un air si égaré et avec des regards si expressifs, que l’attention générale se fixa aussitôt sur elle.

— Le temps en est arrivé, dit-elle ; ni la honte, ni la crainte ne me lieront plus la langue. La main de la Providence est trop manifeste dans le rassemblement qu’il lui a plu de former autour de ce lit de mort, pour que je résiste à sa volonté. Major Lincoln, dans ce jeune homme que la mort va frapper, vous voyez un être dans les veines duquel coule votre propre sang, quoiqu’il ait toujours été étranger à votre bonheur : Job est votre frère.

— Le chagrin lui a fait perdre la raison, s’écria Cécile ; elle ne sait ce qu’elle dit.