Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/88

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— Et qui vient y mettre le papier ?

— Qui ? s’écria Job d’un ton d’assurance ; parbleu, la Liberté qui vient la nuit et qui l’affiche elle-même. Lorsque Nab n’avait pas le moyen d’avoir une maison, Job avait l’habitude de venir dormir sous cet arbre, et combien de fois la nuit n’a-t-il pas vu de ses propres yeux la Liberté venir attacher le papier ?

— Et était-ce une femme ?

— Croyez-vous que la Liberté soit assez folle pour venir toutes les fois en habits de femme, pour être poursuivie dans les rues par cs garnements de soldats ? dit Job d’un air de mépris. Cependant quelquefois elle venait en femme, quelquefois autrement, cela dépendait des jours. Job était encore ici le jour où Satan renonça à son commerce du timbre, ce qu’il ne fit qu’après que les enfants de la Liberté l’eurent forcé à fermer boutique, et l’eurent pendu, ainsi que lord Botte, aux branches du vieil orme.

— Pendu ! s’écria Lionel en reculant involontairement ; cet arbre a donc servi de gibet ?

— Oui, pour des effigies, dit Job en riant ; j’aurais voulu que vous eussiez vu le vieux Botte pirouetter en l’air, ayant Satan sur les épaules, lorsqu’on les a hissés tous les deux au haut de l’arbre ; on eut soin de lui mettre un grand soulier pour cacher son pied fourchu.

Lionel, habitué à la manière dont ses compatriotes prononçaient la lettre u, se douta alors que le vieux Boot (Botte) n’était autre que le comte de Bute ; et commençant à comprendre plus clairement l’usage qu’on avait fait de cet arbre mémorable, ainsi que toutes les circonstances qui s’y rattachaient, il exprima le désir de continuer sa route[1].

Le vieillard n’avait pas interrompu Job dans ses explications, sans doute pour voir l’effet qu’elles produiraient sur Lionel ; mais du moment que celui-ci demanda à repartir, il obéit aussitôt, et lui montra le nouveau chemin. Après avoir marché quelque temps dans la direction des quais, le vieillard se glissa le long d’une petite cour, et entra dans une maison d’assez chétive apparence, sans même prendre la peine d’annoncer sa visite en frappant à la porte. Un passage long, étroit et faiblement éclairé, les conduisit dans une vaste salle qui semblait avoir été disposée pour contenir

  1. Il est peut-être utile d’ajouter, pour comprendre ces allusions, que l’arbre de la Liberté était destiné à remplir les fonctions de la statue de Pasquin à Rome.