Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/360

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— Oh ! sans doute, sans doute, répondit M. Le Quoi. Et il commença à donner, du mieux qu’il put, l’explication du motif qui le rendait si joyeux ; mais cette explication fut très-longue, car son anglais était souvent inintelligible et occasionnait une foule de méprises qu’il fallait éclaircir.

Le fait était que monsieur Le Quoi, de même que la plupart de ceux qui avaient quitté la France au commencement de la révolution, en était parti par frayeur plutôt que par nécessité, et s’était rendu à la Martinique où il possédait une assez belle habitation. Inscrit sur la liste des émigrés, et le séquestre ayant été mis sur son habitation, il s’était réfugié à New-York avec l’argent comptant dont il pouvait disposer, et grâce aux conseils et à la protection de M. Temple, il avait fait à Templeton d’assez bonnes affaires, comme nous l’avons déjà dit. La lettre qu’il venait de recevoir lui annonçait qu’il avait été rayé de la liste fatale ; que le séquestre apposé sur ses propriétés avait été levé, et qu’il pouvait, sans aucun risque, revenir en France ou retourner à la Martinique, comme bon lui semblerait.

Au milieu des démonstrations de sa joie, M. Le Quoi répéta pourtant bien des fois que l’idée de perdre la société de miss Temple lui était insupportable, et il ne la quitta qu’après lui avoir demandé et en avoir obtenu la promesse d’un entretien particulier dont l’époque fut convenue, demande qu’il fit d’un air grave, qui annonçait l’importance du sujet dont il voulait l’entretenir. Élisabeth fit alors l’acquisition qui était la cause de sa visite et traversa de nouveau la boutique, où les villageois qui s’y trouvaient, et parmi lesquels était Billy Kirby, une hache sur l’épaule et une cognée sous le bras, se rangèrent avec respect pour la laisser passer.

Élisabeth et Louise marchèrent en silence jusqu’à ce qu’elles fussent arrivées au pied de la montagne de la Vision, qui dominait le lac et le village, car c’était celle au bas de laquelle on voyait naguère la hutte de Bas-de-Cuir. Là miss Temple s’aperçut que sa compagne était pâle comme la mort, que ses forces semblaient l’abandonner, et que ses genoux fléchissaient sous elle.

— Qu’avez-vous donc, Louise ? lui demanda-t-elle. Vous trouvez-vous indisposée ?

— Non, répondit miss Grant ; mais la terreur m’enlève toute ma force. Jamais, non, jamais, je ne pourrai gravir, seule avec