Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus solennelles qu’il se le donnait à lui-même. Quant aux colons, il était généralement connu parmi eux sous le nom de John Mohican, ou on l’appelait plus familièrement encore John l’Indien.

D’après le long commerce qu’il avait eu avec les blancs, les habitudes de Mohican tenaient le milieu entre la civilisation et l’état sauvage, quoiqu’il gardât une préférence marquée pour ce dernier. Son costume était partie national, partie européen. Bravant la rigueur du froid, il avait la tête nue, mais elle était couverte, malgré son âge, d’une forêt de cheveux noirs fort épais. Son front était noble et découvert, son nez, de la forme de ceux qu’on appelle romains, sa bouche grande, mais bien faite ; et quand elle s’ouvrait elle laissait apercevoir deux rangs de dents saines et blanches, malgré ses soixante-dix ans. Son menton était arrondi, et l’on reconnaissait dans les arcades saillantes de ses pommettes le signe distinctif de sa race ; ses yeux n’étaient pas grands, mais leurs prunelles noires brillaient comme deux étoiles, tandis qu’elles se fixaient successivement sur tous ceux qui étaient dans le salon.

Dès qu’il vit que tous les regards se tournaient vers lui, il laissa retomber sur ses pantalons de peau de daim écrue la couverture qui lui enveloppait la partie supérieure du corps, et qui était attachée à sa taille par une ceinture d’écorce d’arbre ; et il s’avança, avec un air de majesté et de résolution, vers le groupe au milieu duquel se trouvait le jeune chasseur.

Ses bras et son corps jusqu’à la ceinture étaient entièrement nus, à l’exception d’une médaille d’argent, représentant Washington, suspendue à son cou par une courroie de peau, et qui flottait sur sa poitrine, au milieu des cicatrices de maintes blessures. Ses épaules étaient larges et musclées ; mais ses bras, quoique bien proportionnés, n’avaient pas cette apparence de vigueur que le travail seul peut donner. Ce médaillon était la seule décoration qu’il portât, quoique d’énormes fentes pratiquées dans le cartilage de ses oreilles qui touchaient presque à ses épaules, annonçassent qu’elles avaient été décorées d’autres ornements dans des temps plus heureux. Il avait en main un petit panier fait de branches flexibles de frêne, dépouillées de leur écorce, et dont une partie, bizarrement teinte en rouge et en noir, formait un contraste avec la blancheur du bois.