Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 7, 1839.djvu/41

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— Non, non, répondit le Trappeur en branlant la tête de l’air d’un homme qui connaissait mieux son chien ; la jeunesse peut dormir, oui, et rêver aussi ; mais la vieillesse est vigilante et toujours sur ses gardes. Le nez d’Hector ne l’a jamais trompé, et une longue expérience m’a appris à ne pas mépriser ses avertissements.

— L’avez-vous jamais lancé sur la piste de quelque charogne ?

— Mais j’avoue que j’en ai été quelquefois tenté pour faire pièce à ces animaux carnassiers qui sont aussi avides de venaison que l’homme lui-même ; mais non, je savais qu’Hector ne s’y tromperait pas ; car jamais, voyez-vous, il ne se jettera sur une fausse piste lorsqu’il y en a une bonne à suivre.

— Parbleu ! j’ai deviné l’affaire : vous l’avez lancé sur la trace d’un loup, et son nez a plus de mémoire que son maître, dit le chasseur d’abeilles en riant.

— J’ai vu la bonne bête dormir des heures entières, tandis qu’il en passait des centaines auprès de lui. Un loup pourrait venir manger dans son écuelle sans qu’il sourcillât, à moins toutefois qu’il n’y eût disette, auquel cas Hector saurait faire valoir son droit tout comme un autre.

— Il y a des panthères qui sont descendues des montagnes, j’en ai vu une s’élancer sur un daim malade, au moment où le soleil se couchait. Croyez-moi, allez auprès de votre chien, et dites-lui ce qui en est, bon vieillard ; dans une minute, je… Il fut interrompu par un hurlement long et plaintif du chien ; on eût dit les gémissements de quelque esprit du lieu, et le son s’élevait et baissait tour à tour comme la surface ondoyante de la Prairie. Le Trappeur, immobile à sa place, et dans un profond silence, écouta de toutes ses oreilles. Le jeune chasseur d’abeilles, malgré son air d’insouciance, fut frappé de ce hurlement prolongé, qui semblait avoir quelque chose de sauvage et en même temps de prophétique. Après une courte pause, le vieillard siffla pour appeler son chien auprès de lui, et alors, se tournant vers ses compagnons, il dit avec la gravité que lui semblaient demander les circonstances :

— Ceux qui pensent que l’homme réunit en lui seul toute l’intelligence des créatures de Dieu, se verront désabusés tôt ou tard, s’ils arrivent comme moi à l’âge de quatre-vingts ans. Je ne prendrai pas sur moi de dire quel péril nous menace, et je ne garantirai pas que le chien lui-même en sache tant ; mais ce qui est