Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/270

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vaisseau sillonna plus d’un millier de milles sur l’océan, échappant avec adresse à plus d’un croiseur du roi, et évitant diverses rencontres moins dangereuses, plutôt par plaisir que par aucune autre cause visible. Il suffit pour notre but de lever maintenant le voile qui nous a dérobé un instant ses mouvemens, pour présenter l’élégant vaisseau dans un climat plus doux, et, eu égard à la saison de l’année, dans une mer plus favorable.

Précisément sept jours après l’arrivée de Gertrude et de sa gouvernante à bord d’un vaisseau dont il n’est plus nécessaire de cacher le caractère au lecteur, le soleil se leva sur les voiles retentissantes, les vergues symétriques et le corps sombre du bâtiment, à la vue de quelques îles basses, petites et couvertes de rochers. Quand on n’aurait point vu une éminence bleuâtre sortir du sein des eaux, la couleur seule de l’élément aurait averti un marin que le fond de la mer était plus rapproché que d’ordinaire de sa surface, et qu’il était nécessaire de prendre garde aux dangers si connus et si redoutés du voisinage des côtes. Il ne faisait point de vent ; l’air vacillant et incertain, qui de temps en temps gonflait un instant les voiles les plus légères, n’était pour ainsi dire que la douce respiration de l’aurore, qui semblait craindre de troubler le sommeil de l’océan.

Tout ce qui avait vie sur le vaisseau était déjà debout et en activité. Cinquante matelots vigoureux étaient suspendus de différens côtés aux agrès, les uns riant et plaisantant entre eux, et les autres s’acquittant à loisir de la besogne facile dont ils avaient été chargés. D’autres en plus grand nombre s’amusaient tranquillement en bas sur les ponts à quelque travail semblable. Tous, en général, avaient assez l’air de gens qui font quelque chose pour ne pas être taxés de paresse plutôt que par nécessité. Le tillac, cette partie sacrée de tout bâtiment où il règne de la discipline, ou du moins une apparence de discipline, était occupé par une autre classe d’hommes qui ne montraient pas plus d’activité. En un mot, l’état du vaisseau tenait de celui de l’océan et du ciel, qui tous deux semblaient réserver leurs forces pour une meilleure occasion.

Trois ou quatre jeunes gens, qui pour des hommes de leur profession étaient loin d’avoir mauvaise mine, se montraient sous une espèce de petit uniforme de mer pour lequel on n’avait consulté la forme d’aucun peuple en particulier. Malgré le calme apparent qui régnait partout autour d’eux, chacun de ces individus