Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/374

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avant que le bruit du canon fût parvenu jusqu’aux oreilles de l’équipage du Dauphin.

— Voilà une preuve de l’amitié de deux nations, dit sèchement le Corsaire. Il garde le silence pour le Hollandais et pour la couronne de Bragance ; mais toute sa bile est en mouvement à la vue d’une simple nappe blanche ! Laissons-le contempler ce pavillon qu’il aime si peu, monsieur Wilder ; lorsque nous serons fatigués de le montrer, nos armoires pourront en fournir d’autres.

Il paraît en effet que la vue du pavillon que le Corsaire avait arboré produisit sur le vaisseau en vue le même effet que la moleta de l’agile banderilla[1] produit sur le taureau en fureur. Une foule de petites voiles, qui ne pouvaient pas être d’une grande utilité, mais qui servaient du moins à paraître vouloir accélérer sa course, furent aussitôt déployées à son bord ; et il n’y eut pas un bras ni une bouline qu’on ne cherchât à tendre davantage. En un mot, le navire ressemblait au coursier que le jockey frappe sans nécessité, lorsqu’il est lance dans toute sa vitesse, et que l’aiguillon ne peut produire aucun effet. Cependant les deux vaisseaux déployaient toute la force de leurs voiles, sans que l’avantage parût être d’une manière marquée pour l’un ou pour l’autre. Bien que le Dauphin fût renommé pour sa vitesse, son rival ne semblait lui céder en rien. Le vaisseau du flibustier s’inclinait au vent, et l’écume étincelante qu’il chassait devant lui s’élevait de plus en plus ; mais chaque impulsion de la brise était également sentie par l’autre navire, dont les mouvemens sur la mer houleuse semblaient aussi rapides et aussi gracieux que ceux du Dauphin.

— Ce vaisseau fend l’eau comme l’hirondelle fend l’air, dit le chef des flibustiers au jeune lieutenant qui était encore à ses côtés et qui cherchait à cacher une inquiétude qui augmentait à chaque instant. — Est-il renommé pour la vitesse ?

— Le courlis vole à peine plus vite. Ne sommes-nous pas déjà assez près pour des hommes qui ne croisent que pour leur propre plaisir ?

Le Corsaire lança sur son compagnon un regard d’impatience et de soupçon, mais aussitôt souriant d’un air d’audace et de fierté :

  1. Les Espagnols appellent banderilla les drapeaux qui entourent le dard avec lequel on excite le taureau dans l’amphithéâtre. — Éd.