Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/458

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tout temps, votre frère est le bienvenu dans cette maison. La pauvreté du moins ne vous séparera plus.

— Regardez, Henry ! Gertrude ! ajouta la mère en portant la main sur sa figure tandis qu’elle parlait. Ces traits ne vous sont pas inconnus. Ne vous rappellent-ils pas quelqu’un que vous avez redouté, que vous avez aimé ?

Ses enfans restèrent muets de surprise, et tous deux regardèrent si long-temps le blessé que leur vue finit par se troubler. Alors se fit entendre une voix basse, mais distincte, qui les fit tressaillir, et tous leurs doutes se dissipèrent à l’instant.

— Wilder, dit le blessé en réunissant le peu de forces qui semblaient lui rester, je suis venu vous demander le dernier service.

— Le capitaine Heidegger ! s’écria l’officier.

— Le Corsaire Rouge ! murmura la jeune Mrs de Lacey reculant involontairement d’un pas d’un air d’effroi.

— Le Corsaire Rouge ! répéta son fils, se rapprochant au contraire de la litière, par un mouvement de curiosité irrésistible.

— Le voilà enfin coffré ! dit effrontément Richard en s’avançant vers le groupe, sans abandonner les poucettes dont il avait toujours fait mine de se servir pour avoir un prétexte de rester dans l’appartement.

— J’ai caché pendant long-temps ma honte et mon repentir, dit le mourant lorsque la première surprise fut un peu calmée, mais cette guerre m’a fait sortir de ma retraite. Notre pays avait besoin de nous deux, et tous deux nous l’avons servi. Vous avez pu lui offrir ouvertement votre bras ; mais une cause si sainte ne devait pas être souillée par un nom comme le mien. Puisse le peu que j’ai fait de bien ne pas être oublié lorsque le monde parlera de mes méfaits ! — Ma sœur ! mon amie ! pardon[1] !

— Puisse le Dieu de miséricorde, en voyant son repentir, lui pardonner sa vie orageuse ! s’écria Mrs de Lacey en se jetant à genoux, les yeux baignés de larmes, et en levant ses mains vers le ciel. — Ô mon frère ! mon frère ! vous connaissez le saint mystère de notre rédemption, et il n’est pas besoin de vous rappeler sur quel appui vous devez mettre vos espérances de pardon !

— Si je n’eusse jamais oublié ces principes, mon nom pourrait

  1. L’auteur n’a pas cru devoir dire, mais nous supposons que la dame qui paraît dans cette dernière scène n’est autre que celle qui, sous le nom de Roderick, a partagé, vingt ans auparavant, la fortune du Corsaire. Éd.