Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/251

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de supposer un changement qui aurait été pour lui à peu près la même chose que la transmigration des âmes :

Après une heure d’efforts continués avec zèle, et non sans quelque dépit, pour réveiller sa mémoire, Foi renonça pour le moment à cette tentative ; dans certains moments, elle s’était crue sur le point de triompher. Il se donnait lui-même le nom de Whittal ; mais il soutenait qu’il était aussi Nipset, de la tribu des Narragansetts ; qu’il avait une mère dans son Wigwam, et qu’il avait raison de croire qu’il serait mis au nombre des guerriers de la peuplade à la prochaine chute des neiges.

Pendant ce temps, une scène toute différente se passait sur la terrasse où avait eu lieu la première conférence avec l’idiot. Tous les spectateurs s’en étaient retirés lors de l’arrivée subite du messager ; mais un individu solitaire était assis devant la grand étable qui y avait été placée pour le déjeuner, tant des maîtres de la maison que de leurs nombreux serviteurs. C’était un jeune homme qui s’était jeté sur une chaise ; il semblait moins vouloir satisfaire son appétit que se livrer à des pensées qui absorbaient toutes les facultés de son âme. On ne pouvait voir son visage, car il avait la tête appuyée sur ses bras étendus sur une table, bien luisante, en bois de citronnier ; cette table, placée à la suite d’une autre d’un bois plus commun, formait le seul point de distinction entre les convives ; comme dans les temps plus reculés et dans d’autres pays, la salière marquait la différence des rangs parmi ceux qui devaient s’asseoir à la même table.

— Mark, lui dit une voix timide à son côté, tu es fatigué d’avoir passé la nuit sans dormir et à courir sur ces montagnes. Ne penses-tu pas à prendre quelque nourriture avant de te livrer au repos ?

— Je ne dors pas, répondit Mark en se relevant et en repoussant avec douceur les aliments qui lui étaient offerts par une jeune personne dont les yeux étaient fixés avec intérêt sur ses traits agités, et dont les joues, couvertes d’une légère rougeur, indiquaient peut-être qu’il y avait dans ses regards quelque chose de plus tendre que la modestie d’une jeune fille. Je ne dors pas, Marthe ; et, en vérités je ne sais quand il me sera possible de dormir.

— Tes yeux ardents et égarés m’effraient, Mark. T’es-tu trop fatigué en parcourant les montagnes ?