Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/310

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qui fut fait est bien, ce qui va se faire sera mieux encore. Viens, voilà un sentier droit devant nous.

En achevant ces mots, Conanchet fit signe à sa femme de le suivre vers le groupe des captifs. Le dialogue que nous venons de rapporter avait eu lieu dans une partie du verger où les deux époux étaient cachés par les ruines. La distance était faible, et le sachem et sa compagne furent bientôt en présence de ceux qu’ils cherchaient. Laissant sa femme un peu en dehors du cercle, Conanchet avança, et prenant le bras que Ruth lui abandonna sans résistance, il conduisit cette dernière à quelques pas des captifs ; il plaça les deux femmes vis-à-vis l’une de l’autre. Une vive émotion brillait sur les traits de l’Indien, qui, en dépit de son masque de peintures guerrières, ne pouvait la cacher entièrement.

— Vois, dit-il en anglais, regardant attentivement l’une et l’autre femme. Le bon Esprit n’est pas honteux de son ouvrage. Ce qu’il a fait, il l’a fait ; les Narragansetts ou les Yengeeses ne peuvent pas le détruire. Voilà l’oiseau blanc qui vient de l’autre côté de la mer, ajouta-t-il en touchant l’épaule de Ruth avec un de ses doigts, et voilà le petit qu’elle réchauffait sous ses ailes. Alors, croisant ses bras sur sa poitrine nue, il parut vouloir rappeler toute son énergie, de crainte que dans la scène qu’il prévoyait sa fermeté ne l’abandonnât d’une manière indigne de son nom.

Les captifs ignoraient ce que signifiait la scène qui se passait à peu près devant eux. Tant de figures étranges et sauvages allaient et venaient, qu’ils ne leur donnaient plus aucune attention. Jusqu’au moment où elle entendit Conanchet parler anglais, Ruth ne prit aucun intérêt à cette entrevue. Mais le langage figuré et l’action non moins remarquable du Narragansett la tirèrent subitement de sa profonde mélancolie.

— Aucun enfant en bas âge ne paraissait jamais devant les yeux de Ruth sans lui rappeler péniblement l’ange qu’elle avait perdu ; la voix joyeuse de l’enfant ne frappait jamais son oreille sans aller péniblement jusqu’à son cœur ; jamais on ne faisait devant elle d’allusion, soit à des personnes, soit à des événements qui lui rappelaient les tristes incidents de sa propre histoire, sans réveiller toute sa douleur maternelle. Il n’est donc pas surprenant que, se trouvant dans la situation que nous venons de dépeindre, la nature se fit sentir à son cœur, et que son esprit eût conçu des soupçons d’une vérité que le lecteur a déjà devinée. Cependant