Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/320

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cation, puisque nous en avons assez dit dans ce qui précède pour montrer qu’ils n’étaient point étrangers l’un à l’autre. Cependant cette rencontre n’eut pas lieu sans inquiétude d’une part, et une grande surprise de l’autre, quoiqu’elle fût voilée. Conanchet se conduisit comme il convenait à son rang et à son noble caractère, il ne manifesta en aucune manière une curiosité vulgaire ; il revit son ancienne connaissance avec une dignité calme, et il eut été difficile de découvrir dans ses regards ou dans l’expression de ses traits que ce lieu lui semblait extraordinaire pour une telle rencontre. Il écouta la brève explication de son compagnon avec une politesse grave, et laissa écouler quelque temps avant de lui répondre.

— Le Manitou des hommes pâles doit être content de mon père, dit-il. Ses paroles pénètrent souvent dans les oreilles de son Grand-Esprit ; les arbres et les rochers les connaissent.

— Comme tous ceux d’une race pécheresse et déchue, répondit l’étranger avec la sévérité de son âge, j’ai grand besoin de prier ; mais pourquoi crois-tu que ma voix est souvent entendue dans ce lieu secret ?

Le doigt de Conanchet montra le roc usé à ses pieds, et son œil regarda furtivement le sentier battu qui conduisait à la porte de la hutte.

— Un Yengeese a le talon dur, dit-il, mais il l’est moins que la pierre. Le pied d’un daim passerait souvent dans un sentier avant de laisser une semblable trace.

— Tu as le coup d’œil prompt, et cependant ton jugement peut se tromper ; ma langue n’est pas la seule qui parle au Dieu de mon peuple.

Le sachem courba légèrement la tête en signe d’assentiment, comme s’il ne désirait pas approfondir ce sujet. Mais son compagnon ne fut pas aussi aisément satisfait, car il sentait intérieurement qu’il avait échoué en essayant de trouver quelques moyens plausibles de calmer les soupçons de l’Indien.

— Si je suis seul maintenant, ajouta-t-il, cela peut être par hasard ou par choix. Tu sais que cette journée a été sanglante parmi les hommes pâles. Il y a des morts et des mourants dans leur hutte ; celui qui n’a pas de wigwam en sa possession a le temps de prier seul.

— L’esprit est très-adroit, répondit Conanchet, il peut entendre lorsque l’oreille est sourde, il peut voir lorsque l’œil est