Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/368

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Ni rouge ni pâle. Non, Narra-Mattah, lorsque le Grand-Esprit a commandé une chose, un sachem même doit obéir.

— Conanchet dit-il que ce fruit n’est pas bon ? demanda la jeune femme en soulevant son enfant, et le présentant à son mari avec toute la joie d’une mère.

Le cœur du guerrier fut touché ; courbant la tête, il donna un baiser à l’enfant avec toute la tendresse qu’aurait pu montrer un homme dont les habitudes eussent été moins sévères. Pendant un instant, il sembla satisfait en songeant à tout ce que promettait cet enfant. Mais, en levant la tête, ses yeux aperçurent un rayon du soleil, et l’expression de son visage changea. Faisant signe à sa femme de replacer l’enfant par terre, il se tourna vers elle avec solennité, et dit :

— Que la langue de Narra-Mattah parle sans crainte ; elle a été dans les huttes de son père, et a goûté de leur aisance ; son cœur est-il content ?

La jeune femme laissa passer quelques instants avant de répondre. Cette question lui rappela tout à coup cette tendre sollicitude et ces soins si touchants dont elle avait été l’objet récemment. Mais ces souvenirs s’évanouirent bientôt ; et, sans oser lever les yeux de crainte de rencontrer les regards attentifs du chef, elle dit d’une voix timide, mais ferme :

— Narra-Mattah est épouse.

— Alors qu’elle écoute les paroles de son mari. Conanchet n’est plus un chef ; c’est un prisonnier des Mohicans ; Uncas l’attend dans les bois !

Malgré la déclaration qu’elle venait de faire, Narra-Mattah n’écouta pas la nouvelle de ce malheur avec la fermeté d’une femme indienne. Il sembla d’abord que ses sens refusaient de comprendre la signification des mots. La surprise, le doute, l’horreur et une affreuse certitude dominèrent tour à tour dans son âme car elle était trop instruite des usages et des opinions du peuple parmi lequel elle vivait, pour ne pas comprendre tout le danger de la position de son mari.

— Le sachem des Narragansetts prisonnier du Mohican Uncas ! répéta-t-elle d’une voix basse, comme si le son de sa propre voix eût été nécessaire pour dissiper quelque horrible illusion. Non, Uncas n’est pas un guerrier qui puisse frapper Conanchet !

— Écoute mes paroles, dit le chef en touchant l’épaule de sa femme, comme s’il eût voulu l’éveiller d’un profond sommeil ; il