Page:Coppée - Œuvres complètes, Théâtre, t4, 1899.djvu/45

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Certes, la Mauri est divine, vue de la salle, avec ou sans l’aide de la lorgnette. Mais je considère comme une des meilleures fortunes de ma vie d’auteur dramatique, d’avoir eu sous les yeux cette extraordinaire artiste, cette créature aérienne, qui après un bond prodigieux, — je dis mal — après un essor, retombait sur le plancher de la scène, si légèrement, si délicatement, qu’on n’entendait aucun bruit, pas plus que lorsqu’un oiseau descend et se pose sur une branche.

La Mauri, c’est la danse même. À ce travail des répétitions, ennuyeux et pénible pour tous les artistes, mais particulièrement fatigant pour la ballerine, qui doit dépenser tant de vigueur et d’adresse, la Mauri apporte une sorte d’enthousiasme physique, de joyeux délire. On sent qu’elle est heureuse de danser, pour rien, par instinct, pour son propre plaisir, même devant la salle vide et noire. Elle s’ébroue et s’élance comme un jeune poulain, elle vole et glisse dans l’espace comme un libre oiseau ; et il y a, en effet, dans sa beauté brune et un peu sauvage, quelque chose du cheval arabe et de l’hirondelle.

La danse de la Mauri, tout en restant absolument décente, a cependant une fantaisie, qui faisait, m’a-t-on dit alors, froncer le sourcil à quelques vieux abonnés de l’Opéra, restés fidèles aux traditions. Car il existe, paraît-il, un genre classique en chorégraphie. Certaines pirouettes sont raciniennes, et d’autres pas.