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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/168

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DISCOURS

du chœur, qui est la borne du prologue, à la première fois qu’il demeurait seul sur le théâtre et chantoit : jusque-là il n’y étoit introduit que parlant avec un acteur par une seule bouche, ou s’il y demeuroit seul sans chanter, il se séparoit en deux demi-chœurs, qui ne parloient non plus chacun de leur côté que par un seul organe, afin que l’auditeur pût entendre ce qu’ils disoient, et s’instruire de ce qu’il falloit qu’il apprît pour l’intelligence de l’action.

Je réduis ce prologue à notre premier acte, suivant l’intention d’Aristote, et pour suppléer en quelque façon à ce qu’il ne nous a pas dit, ou que les années nous ont dérobé de son livre, je dirai qu’il doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l’action principale que pour les épisodiques, en sorte qu’il n’entre aucun acteur dans les actes suivants qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu’un qui y aura été introduit. Cette maxime est nouvelle et assez sévère, et je ne l’ai pas toujours gardée ; mais j’estime qu’elle sert beaucoup à fonder une véritable unité d’action, par la liaison de toutes celles qui concurrent[1] dans le poëme. Les anciens s’en sont fort écartés, particulièrement dans les agnitions, pour lesquelles ils se sont presque toujours servis de gens qui survenoient par hasard au cinquième acte, et ne seroient arrivés qu’au dixième, si la pièce en eût eu dix. Tel est ce vieillard de Corinthe dans l’Œdipe de Sophocle et de Sénèque, où il semble tomber des nues par miracle, en un temps où les acteurs ne sauroient plus par où en prendre[2], ni quelle

  1. Corneille emploie un peu plus loin (p. 44) l’infinitif concurrer, pour concourir.
  2. Locution proverbiale. Dans le Trésor de la langue françoise de Nicot : « On n’en sait par où prendre » est expliqué par : Non pes, non capul apparet (on n’aperçoit ni pied ni tête). Nous disons encore dans un sens analogue : « On ne sait où se prendre. »