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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/418

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CLITANDRE.

Poussons donc hardiment. Mais, hélas ! cette épée[1],
Coulant entre mes doigts, laisse ma main trompée ;
Et sa lame, timide à procurer mon bien,
Au sang des assassins n’ose mêler le mien.
285Ma foiblesse importune à mon trépas s’oppose ;
En vain je m’y résous, en vain je m’y dispose ;
Mon reste de vigueur ne peut l’effectuer ;
J’en ai trop pour mourir, trop peu pour me tuer :
L’un me manque au besoin, et l’autre me résiste.
290Mais je vois s’entrouvrir les beaux yeux de Caliste[2],
Les roses de son teint n’ont plus tant de pâleur,
Et j’entends un soupir qui flatte ma douleur.
Voyez, Dieux inhumains, que malgré votre envie
L’amour lui sait donner la moitié de ma vie,
295Qu’une âme désormais suffit à deux amants.

CALISTE.

Hélas ! qui me rappelle à de nouveaux tourments ?
Si Rosidor n’est plus, pourquoi reviens-je au monde[3] ?

ROSIDOR.

Ô merveilleux effet d’une amour sans seconde[4] !

  1. En marge, dans l’édition de 1632 : Il tombe de foiblesse, et son épée tombe aussi de l’autre côté, et lui insensiblement se traîne auprès de Caliste.
  2. Var. Mais insensiblement je retrouve Caliste ;
    Ma langueur m’y reporte, et mes genoux tremblants
    Y conduisent l’erreur de mes pas chancelants.
    Adorable sujet de mes flammes pudiques,
    Dont je trouve en mourant les aimables reliques,
    Cesse de me prêter un secours inhumain,
    Ou ne donne du moins des forces qu’à ma main,
    Qui m’arrache aux tourments que ton malheur me livre ;
    Donne-m’en pour mourir comme tu fais pour vivre.
    Quel miracle succède à mes tristes clameurs (a) !
    Caliste se ranime autant que je me meurs (b).
    [Voyez, Dieux inhumains, que malgré votre envie.] (1632-57)
    (a). En marge, dans l’édition de 1632 : Elle revient de pâmoison.
    (b). Caliste se ranime à même que je meurs. (1644-57)
  3. Var. Rosidor n’étant plus, qu’ai-je à faire en ce monde ? (1632)
  4. On lit dans l’édition de 1657 : d’un amour, pour d’une amour ; mais la fin du vers : sans seconde, prouve que c’est une faute d’impression.