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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 1.djvu/483

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ACTE V, SCÈNE IV.

Qu’il est peu de lumière en nos entendements,
Et que d’incertitude en nos raisonnements[1] !
1465Qui voudra désormais se fie[2] aux impostures
Qu’en notre jugement forment les conjectures :
Tu suffis pour apprendre à la postérité
Combien la vraisemblance a peu de vérité.
Jamais jusqu’à ce jour la raison en déroute
1470N’a conçu tant d’erreur avec si peu de doute[3] ;
Jamais, par des soupçons si faux et si pressants,
On n’a jusqu’à ce jour convaincu d’innocents.
J’en suis honteux, Clitandre, et mon âme confuse
De trop de promptitude en soi-même s’accuse.
1475Un roi doit se donner, quand il est irrité,
Ou plus de retenue, ou moins d’autorité.
Perds-en le souvenir, et pour moi, je te jure
Qu’à force de bienfaits j’en répare l’injure.

CLITANDRE.

Que Votre Majesté, Sire, n’estime pas
1480Qu’il faille m’attirer par de nouveaux appas.
L’honneur de vous servir m’apporte assez de gloire,
Et je perdrois le mien, si quelqu’un pouvoit croire
Que mon devoir penchât au refroidissement,
Sans le flatteur espoir d’un agrandissement.
1485Vous n’avez exercé qu’une juste colère :
On est trop criminel quand on peut vous déplaire[4],
Et tout chargé de fers, ma plus forte douleur
Ne s’en osa jamais prendre qu’à mon malheur.

  1. L’exemplaire de l’édition de 1632 qui appartient à la Bibliothèque impériale porte ici mes raisonnements ; deux autres, que nous avons pu comparer, donnent nos raisonnements, comme notre texte.
  2. L’édition de 1682, au lieur de se fie qui est dans toutes les autres, donne se fier. C’est évidemment une faute.
  3. Var. N’a conçu tant d’erreur avecque moins de doute. (1632-57)
  4. Var. On est trop criminel quand on vous peut déplaire. (1632-57)