Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En cet heureux séjour du mérite et des grâces, 10
Tu viens, à mon exemple, enrichir ces beaux lieux
De tout ce que ton art a de plus précieux.
Oh ! qu’ils te fourniront de brillantes matières !
Que d’illustres objets à toutes tes lumières !
Prépare des pinceaux, prépare des efforts 15
Pour toutes les beautés de l’esprit et du corps,
Pour tous les dons du ciel, pour tous les avantages
Que la nature et lui sèment sur les visages ;
Prépares-en enfin pour toutes les vertus,
Sous qui nous puissions voir les vices abattus. 20
Sans te gêner l’idée après leur caractère,
Pour les bien exprimer tu n’auras qu’à portraire :
La France en est féconde, et tes nobles travaux
En trouveront chez elle assez d’originaux ;
Mais n’en prépare point pour la plus signalée[1], 25
Qu’on a depuis longtemps de la cour exilée,
Pour celle qui départ le solide renom :
Hélas ! j’en ai moi-même oublié jusqu’au nom,
Tant je vois rarement mes plus fameux ouvrages
Pouvoir s’enorgueillir de ses moindres suffrages. 30
Ronsard, qu’elle flattoit à son commencement,
La crut avec son roi couchée au monument ;
Il en perdit l’haleine[2], et sa muse malade
En laissa de ses mains tomber la Franciade[3].

  1. Voyez les derniers vers de la pièce.
  2. Dans l’édition de Lefèvre : « Il en perdit haleine. »
  3. Poëme épique dont le héros est Francus ou Francion, fils d’Hector et d’Andromaque. « Ronsard l’entreprit encore jeune, sous le règne de Henri II, afin qu’on ne pût reprocher à la France de manquer d’un poëme épique. Charles IX le soutint vivement dans cette résolution ; mais après la mort de ce prince, comme l’état des finances ne permettait plus les gratifications, le poëme en souffrit beaucoup et demeura, inachevé. Il devait avoir vingt-quatre chants comme l’Iliade, et tel qu’il nous reste, il n’en a que quatre. » (Ta-