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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 10.djvu/362

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Demande à tes yeux enchantés
S’il pouvoit en un lieu plus rare
Assembler tant de raretés. 170

Cette porte, en effet, et deux grandes croisées
Cachent des nouveautés à peindre malaisées.
Avant que les ouvrir, Timandre prend le soin
De faire retourner ses hôtes de plus loin :
Lors, ouvrant les châssis, l’on voit deux perspectives, 175
D’où les prés, les forêts, les montagnes, les rives,
Les bocages touffus, les pentes, les vallons,
Les collines par onde en forme de sillons ;
Les tours et les retours de l’agréable Seine
Qui coule en serpentant dans cette large plaine, 180
Les vaisseaux qu’elle porte en son vaste canal,
Son onde qui paroît un liquide cristal :
Toutes ces raretés presque inimaginables,
Et dont la vérité passe toutes les[1] fables,
Sont les riches couleurs qui sur le naturel 185
Font en terre un crayon du séjour immortel.
En sortant de ce parc, cette vue éloignée
Devient à petits pas si doucement bornée,
Que la croupe du mont n’étale rien d’affreux,
Ni rien qui fasse peine à reposer les yeux. 190
Pour de là vous conduire à trois coups d’arquebuse,
Timandre sait user d’une obligeante ruse ;
Et le prétexte adroit de la fraîcheur du bois
Doit bientôt enchanter votre œil une autre fois.
Par une verte allée où l’épais du feuillage 195
Attire mille oiseaux à dire leur ramage,
Presque insensiblement sur un tertre élevé,
Dont le pied quelquefois par la Seine est lavé,
L’œil vous fait un présent de la plus riche vue
Dont puisse être jamais une place pourvue. 200
Tout ce que l’on a vu jusqu’ici de charmant,
Cet agréable lieu le montre éminemment :
Par des charmes plus forts que ceux de la Méduse,
En un moment le sens si doucement s’abuse,
Que les autres privés de toutes fonctions, 205
L’œil peut admirer seul tant de perfections ;
Et d’autant que la vue est bien moins égarée,

  1. Il y a ses dans l’édition originale, mais cette leçon n’a pas de sens.