Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/234

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sont trop désavantageuses, pour nommer son protecteur ; elles s’imagineroient que vous ne pourriez l’approuver sans avoir grande part à ses sentiments, et que toute sa morale seroit plutôt un portrait de votre conduite qu’un effort de mon imagination ; et véritablement, Monsieur, cette possession de vous-même, que vous conservez si parfaite parmi tant d’intrigues[1] où vous semblez embarrassé, en approche beaucoup. C’est de vous que j’ai appris que l’amour d’un honnête homme doit être toujours volontaire ; qu’on ne doit jamais aimer en un point qu’on ne puisse n’aimer pas ; que si on en vient jusque-là, c’est une tyrannie dont il faut secouer le joug ; et qu’enfin la personne aimée nous a beaucoup plus d’obligation de notre amour, alors qu’elle est toujours l’effet de notre choix et de son mérite, que quand elle vient d’une inclination aveugle, et forcée par quelque ascendant de naissance à qui nous ne pouvons résister. Nous ne sommes point redevables à celui de qui nous recevons un bienfait par contrainte, et on ne nous donne point ce qu’on ne sauroit nous refuser. Mais je vais trop avant pour une épître : il sembleroit que j’entreprendrais la justification de mon Alidor ; et ce n’est pas mon dessein de mériter par cette défense la haine de la plus belle moitié du monde, et qui domine si puissamment sur les volontés de l’autre. Un poëte n’est jamais garant des fantaisies[2] qu’il donne à ses acteurs ; et si les dames trouvent ici quelques discours qui les blessent, je les supplie de se souvenir que j’appelle extravagant celui dont ils partent[3], et que par d’autres poëmes j’ai assez

  1. Var. (édit. de 1644-57) : intriques.
  2. Les éditions de 1652 et de 1657 ont fantasies, au lieu de fantaisies.
  3. Var. (édit. de 1644-57) : de se souvenir que je les mets en la bouche d’un extravagant, et que par d’autres poëmes…