Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/243

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il aura quelques traits de tant que je chéris,
80Et je puis avec joie accepter tous maris.

ANGÉLIQUE.

Voilà fort plaisamment tailler cette matière,
Et donner à ta langue une libre carrière[1].
Ce grand flux de raisons dont tu viens m’attaquer
Est bon à faire rire, et non à pratiquer.
85Simple, tu ne sais pas ce que c’est que tu blâmes,
Et ce qu’a de douceurs l’union de deux âmes ;
Tu n’éprouvas jamais de quels contentements
Se nourrissent les feux des fidèles amants.
Qui peut en avoir mille en est plus estimée,
90Mais qui les aime tous de pas un n’est aimée ;
Elle voit leur amour soudain se dissiper :
Qui veut tout retenir laisse tout échapper.

PHYLIS.

Défais-toi, défais-toi de tes fausses maximes[2] ;
Ou si ces vieux abus te semblent légitimes[3],
95Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux,
Conserve-lui ton cœur, mais partage tes yeux :
De mon frère par là soulage un peu les plaies ;
Accorde un faux remède à des douleurs si vraies ;
Feins, déguise avec lui, trompe-le par pitié[4],
100Ou du moins par vengeance et par inimitié.

ANGÉLIQUE.

Le beau prix qu’il auroit de m’avoir tant chérie,
Si je ne le payois que d’une tromperie !
Pour salaire des maux qu’il endure en m’aimant,
Il aura qu’avec lui je vivrai franchement.

  1. Var. Et donner à ta langue une longue carrière. (1637-60)
  2. Var. Défais-toi, défais-toi de ces fausses maximes. (1635-52 et 57)
  3. Var. Ou si pour leur défense, aveugle, tu t’animes. (1637-57)
  4. Var. Trompe-le, je t’en prie, et sinon par pitié,
    Pour le moins par vengeance ou par inimitié. (1637-57)