Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/248

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Ce n’est qu’en m’aimant trop qu’elle me fait mourir ;
Un moment de froideur, et je pourrois guérir ;
Une mauvaise œillade, un peu de jalousie,
190Et j’en aurois soudain passé ma fantaisie :
Mais las ! elle est parfaite, et sa perfection
N’approche point encor de son affection[1] ;
Point de refus pour moi, point d’heures inégales ;
Accablé de faveurs à mon repos fatales[2],
195Sitôt qu’elle voit jour à d’innocents plaisirs,
Je vois qu’elle devine et prévient mes desirs ;
Et si j’ai des rivaux, sa dédaigneuse vue
Les désespère autant que son ardeur me tue.

CLÉANDRE.

Vit-on jamais amant de la sorte enflammé,
200Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ?

ALIDOR.

Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires ?
Penses-tu qu’il s’arrête aux sentiments vulgaires ?
Les règles que je suis ont un air tout divers ;
Je veux la liberté dans le milieu des fers[3].
205Il ne faut point servir d’objet qui nous possède ;
Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous cède ;
Je le hais, s’il me force : et quand j’aime, je veux
Que de ma volonté dépendent tous mes vœux,
Que mon feu m’obéisse au lieu de me contraindre ;
210Que je puisse à mon gré l’enflammer et l’éteindre[4],
Et toujours en état de disposer de moi,
Donner, quand il me plaît et retirer ma foi.
Pour vivre de la sorte Angélique est trop belle :

  1. Var. N’est pourtant rien auprès de son affection. (1637-57)
  2. Var. Accablé de faveurs à mon aise fatales,
    Partout où son honneur peut souffrir mes plaisirs. (1635-57)
  3. Var. Je veux que l’on soit libre au milieu de ses fers. (1637-57)
  4. Var. Que je puisse à mon gré l’augmenter et l’éteindre. (1637-57)