Quand je tâche à la perdre, il meurt de m’en défaire ;
Quand je l’aime, elle cesse aussitôt de lui plaire.
Mon cœur prêt à guérir, le sien se trouve atteint ;
Et mon feu rallumé, le sien se trouve éteint :
Il aime quand je quitte, il quitte alors que j’aime ;
Et sans être rivaux, nous aimons en lieu même.
C’en est fait, Angélique, et je ne saurois plus
Rendre contre tes yeux des combats superflus.
De ton affection cette preuve dernière
Reprend sur tous mes sens une puissance entière.
Les ombres de la nuit m’ont redonné le jour[1] :
Que j’eus de perfidie, et que je vis d’amour !
Quand je sus que Cléandre avoit manqué sa proie,
Que j’en eus de regret, et que j’en ai de joie !
Plus je t’étois ingrat, plus tu me chérissois ;
Et ton ardeur croissoit plus je te trahissois.
Aussi j’en fus honteux, et confus dans mon âme,
La honte et le remords rallumèrent ma flamme.
Que l’amour pour nous vaincre a de chemins divers !
Et que malaisément on rompt de si beaux fers !
C’est en vain qu’on résiste aux traits d’un beau visage ;
En vain, à son pouvoir refusant son courage,
On veut éteindre un feu par ses yeux allumé,
Et ne le point aimer quand on s’en voit aimé :
Sous ce dernier appas l’amour a trop de force ;
Il jette dans nos cœurs une trop douce amorce,
Et ce tyran secret de nos affections
Saisit trop puissamment nos inclinations.
Aussi ma liberté n’a plus rien qui me flatte ;
Le grand soin que j’en eus partoit d’une âme ingrate,
Et mes desseins, d’accord avecque mes desirs,
À servir Angélique ont mis tous mes plaisirs[2].
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/304
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