Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/396

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Médée.

À travers tes conseils je vois assez ta ruse ;
Ce n’est là m’en donner qu’en faveur de Créuse.
Ton amour, déguisé d’un soin officieux,
D’un objet importun veut délivrer ses yeux.

Jason.

N’appelle point amour un change inévitable,
Où Créuse fait moins que le sort qui m’accable.

Médée.

Peux-tu bien, sans rougir, désavouer tes feux ?

Jason.

Eh bien, soit ; ses attraits captivent tous mes vœux :
Toi, qu’un amour furtif souilla de tant de crimes,
M’oses-tu reprocher des ardeurs légitimes ?

Médée.

Oui, je te les reproche, et de plus…

Jason.

Oui, je te les reproche, et de plus… Quels forfaits ?

Médée.

La trahison, le meurtre, et tous ceux que j’ai faits.

Jason.

Il manque encor ce point à mon sort déplorable,
Que de tes cruautés on me fasse coupable.

Médée.

Tu présumes en vain de t’en mettre à couvert ;
Celui-là fait le crime à qui le crime sert.
Que chacun, indigné contre ceux de ta femme,
La traite en ses discours de méchante et d’infâme,
Toi seul, dont ses forfaits ont fait tout le bonheur,
Tiens-la pour innocente et défends son honneur.

Jason.

J’ai honte de ma vie, et je hais son usage,
Depuis que je la dois aux effets de ta rage.