Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/427

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N’attire point ces feux esclaves de sa haine.
Ah, quel âpre tourment ! quels douloureux abois !
Et que je sens de morts sans mourir une fois !

Jason.

Quoi ! vous m’estimez donc si lâche que de vivre,
Et de si beaux chemins sont ouverts pour vous suivre ?
Ma reine, si l’hymen n’a pu joindre nos corps,
Nous joindrons nos esprits, nous joindrons nos deux morts ;
Et l’on verra Caron passer chez Rhadamante,
Dans une même barque, et l’amant et l’amante.
Hélas ! vous recevez, par ce présent charmé,
Le déplorable prix de m’avoir trop aimé ;
Et puisque cette robe a causé votre perte,
Je dois être puni de vous l’avoir offerte.
Quoi ! ce poison m’épargne, et ces feux impuissants
Refusent de finir les douleurs que je sens !
Il faut donc que je vive, et vous m’êtes ravie !
Justes dieux ! quel forfait me condamne à la vie ?
Est-il quelque tourment plus grand pour mon amour
Que de la voir mourir, et de souffrir le jour ?
Non, non ; si par ces feux mon attente est trompée,
J’ai de quoi m’affranchir au bout de mon épée ;
Et l’exemple du roi, de sa main transpercé,
Qui nage dans les flots du sang qu’il a versé,
Instruit suffisamment un généreux courage
Des moyens de braver le destin qui l’outrage.

Créuse.

Si Créuse eut jamais sur toi quelque pouvoir,
Ne t’abandonne point aux coups du désespoir.