Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 2.djvu/492

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478 L’ILLUSION.

Tu m’aimes, mais le bien te fait être inconstant :
Au siècle où nous vivons, qui n’en feroit autant ?
Oublions des mépris où par force il s’excite,
Et laissons-le jouir du bonheur qu’il mérite.
S’il m’aime, il se punit en m’osant dédaigner,
Et si je l’aime encor, je le dois épargner.
Dieux ! à quoi me réduit ma folle inquiétude,
De vouloir faire grâce à tant d’ingratitude ?
Digne soif de vengeance, à quoi m’exposez-vous,
De laisser affoiblir un si juste courroux ?
Il m’aime, et de mes yeux je m’en vois méprisée !
Je l’aime, et ne lui sers que d’objet de risée !
Silence, amour, silence : il est temps de punir ;
J’en ai donné ma foi : laisse-moi la tenir.
Puisque ton faux espoir ne fait qu’aigrir ma peine,
Fais céder tes douceurs à celles de la haine :
Il est temps qu’en mon cœur elle règne à son tour,
Et l’amour outragé ne doit plus être amour.

1.Var. Oublions les projets de sa flamme maudite,
[Et laissons-le jouir du bonheur qu’il mérite].
Que de pensers divers en mon cœur amoureux,
Et que je sens dans l’âme un combat rigoureux !
Perdre qui me chérit ! épargner qui m’affronte !
Ruiner ce que j’aime ! aimer qui veut ma honte !
L’amour produira-t-il un si cruel effet ?
L’impudent rira-t-il de l’affront qu’il m’a fait (a) ?
Mon amour me séduit, et ma haine m’emporte,
L’une peut tout sur moi, l’autre n’est pas moins forte :
N’écoutons plus l’amour pour un tel suborneur,
Et laissons à la haine assurer mon honneur. (1639-57)
2. Var. Puisque ton faux espoir n’a fait qu’aigrir ma peine. (1660).

(a) L’insolent rira-t-il de l’affront qu’il m’a fait ? (1644-57)