Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/105

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elle ne se contente pas de s’enfuir de honte au même moment ; mais sitôt qu’elle est avec Elvire, à qui elle ne déguise rien de ce qui se passe dans son âme, et que la vue de ce cher objet ne lui fait plus de violence, elle forme un souhait plus raisonnable, qui satisfait sa vertu et son amour tout ensemble, et demande au ciel que le combat se termine

Sans faire aucun des deux ni vaincu ni vainqueur[1].


Si elle ne dissimide point qu’elle penche du côté de Rodrigue, de peur d’être à don Sanche, pour qui elle a de l’aversion, cela ne détruit point la protestation qu’elle a faite un peu auparavant, que malgré la loi de ce combat, et les promesses que le Roi a faites à Rodrigue, elle lui fera mille autres ennemis, s’il en sort victorieux. Ce grand éclat même qu’elle laisse faire à son amour après qu’elle le croit mort, est suivi d’une opposition vigoureuse à l’exécution de cette loi qui la donne à son amant, et elle ne se tait qu’après que le Roi l’a différée, et lui a laissé lieu d’espérer qu’avec le temps il y pourra survenir quelque obstacle. Je sais bien que le silence passe d’ordinaire pour une marque de consentement ; mais quand les rois parlent, c’en est une de contradiction : on ne manque jamais à leur applaudir quand on entre dans leurs sentiments ; et le seul moyen de leur contredire avec le respect qui leur est dû, c’est de se taire, quand leurs ordres ne sont pas si pressants qu’on ne puisse remettre à s’excuser de leur obéir lorsque le temps en sera venu, et conserver cependant une espérance légitime d’un empêchement, qu’on ne peut encore déterminément prévoir.

Il est vrai que dans ce sujet il faut se contenter de

  1. Vers 1667.