Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

effectivement jusque-là[1] ; mais comme dans notre Seine il fait encore plus de chemin qu’il ne lui en faut faire sur le Guadalquivir pour battre les murailles de cette ville, cela peut suffire à fonder quelque probabilité parmi nous, pour ceux qui n’ont point été sur le lieu même.

Cette arrivée des Maures ne laisse pas d’avoir ce défaut, que j’ai marqué ailleurs[2], qu’ils se présentent d’eux-mêmes, sans être appelés dans la pièce, directement ni indirectement, par aucun acteur du premier acte. Ils ont plus de justesse dans l’irrégularité de l’auteur espagnol : Rodrigue, n’osant plus se montrer à la cour, les va combattre sur la frontière[3] ; et ainsi le premier acteur les va chercher, et leur donne place dans le poëme, au contraire de ce qui arrive ici, où ils semblent se venir faire de fête exprès pour en être battus, et lui donner moyen de rendre à son roi un service d’importance[4], qui lui fasse obtenir sa grâce. C’est une seconde incommodité de la règle dans cette tragédie.

Tout s’y passe donc dans Séville, et garde ainsi quelque espèce d’unité de lieu en général ; mais le lieu particulier change de scène en scène, et tantôt c’est le palais du Roi, tantôt l’appartement de l’Infante, tantôt la maison de Chimène, et tantôt une rue ou place publique. On le détermine aisément pour les scènes détachées ; mais pour celles qui ont leur liaison ensemble, comme les quatre dernières du premier acte, il est malaisé d’en choisir un

  1. Corneille aurait pu l’assurer. Madoz dit que le flux se fait sentir jusqu’à dix ou douze lieues au-dessus de Séville. (Diccionario geografico-estodistico-historico de España. Madrid, 1847, gr. in-8o, tome IX, p. 22.)
  2. Voyez tome I, p. 43.
  3. Voyez las Mocedades del Cid, deuxième journée.
  4. Var. (édit. de 1660 et de 1663) : de rendre un service d’importance à son roi.