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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/124

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115Je travaille à le perdre, et le perds à regret ;
Et de là prend son cours mon déplaisir secret.
Je vois avec chagrin que l’amour me contraigne[1]
À pousser des soupirs pour ce que je dédaigne ;
Je sens en deux partis mon esprit divisé :
120Si mon courage est haut, mon cœur est embrasé ;
Cet hymen m’est fatal, je le crains, et souhaite :
Je n’ose en espérer qu’une joie imparfaite[2].
Ma gloire et mon amour ont pour moi tant d’appas,
Que je meurs s’il s’achève ou ne s’achève pas.

LÉONOR.

125Madame, après cela je n’ai rien à vous dire,
Sinon que de vos maux avec vous je soupire :
Je vous blâmois tantôt, je vous plains à présent ;
Mais puisque dans un mal si doux et si cuisant
Votre vertu combat et son charme et sa force,
130En repousse l’assaut, en rejette l’amorce,
Elle rendra le calme à vos esprits flottants.
Espérez donc tout d’elle, et du secours du temps ;
Espérez tout du ciel ; il a trop de justice
Pour laisser la vertu dans un si long supplice[3].

L’INFANTE.

135Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir.

LE PAGE.

Par vos commandements Chimène vous vient voir.

L’INFANTE, à Léonor[4].

Allez l’entretenir en cette galerie.

LÉONOR.

Voulez-vous demeurer dedans la rêverie ?

  1. Var. Je suis au désespoir que l’amour me contraigne. (1637-60)
  2. Var. Je ne m’en promets rien qu’une joie imparfaite.
    Ma gloire et mon amour ont tous deux tant d’appas,
    Que je meurs s’il s’achève et ne s’achève pas. (1637-56
  3. Var. Pour souffrir la vertu si longtemps au supplice. (1637-56)
  4. Les mots à Léonor manquent dans les éditions de 1637-44.