Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/133

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Scène VI.[1]

DON RODRIGUE[2].

D’une aPercé jusques au fond du cœur[3]
D’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d’une juste querelle,
Et malheureux objet d’une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Je demeurCède au coup qui me tue.
Je deSi près de voir mon feu récompensé,
Je demeurÔ Dieu, l’étrange peine !

  1. « On mettait alors des stances dans la plupart des tragédies, et on en voit dans Médée. On les a bannies du théâtre. On a pensé que les personnages qui parlent en vers d’une mesure déterminée ne devaient jamais changer cette mesure, parce que s’ils s’expliquaient en prose, ils devraient toujours continuer à parler en prose. Or les vers de six pieds étant substitués à la prose, le personnage ne doit pas s’écarter de ce langage convenu. Les stances donnent trop l’idée que c’est le poëte qui parle. Cela n’empêche pas que ces stances du Cid ne soient fort belles et ne soient encore écoutées avec beaucoup de plaisir. » (Voltaire.) — D’Aubignac a fait dans sa Pratique du théâtre (p. 345 et 346) des réflexions analogues sur ces stances : « Pour rendre… vraisemblable qu’un homme récite des stances, c’est-à-dire qu’il fasse des vers sur le théâtre, il faut qu’il y ait une couleur ou raison pour autoriser ce changement de langage… Souvent nos poètes ont mis des stances en la bouche d’un acteur parmi les plus grandes agitations de son esprit, comme s’il étoit vraisemblable qu’un homme en cet état eût la liberté de faire des chansons. C’est ce que les plus entendus au métier ont très-justement condamné dans le plus fameux de nos poèmes, où nous avons vu un jeune seigneur, recevant un commandement qui le réduisoit au point de ne savoir que penser, que dire, ni que faire, et qui divisoit son esprit par une égale violence entre sa passion et sa générosité, faire des stances au lieu même où il étoit, c’est-à-dire composer à l’improviste une chanson au milieu d’une rue. Les stances en étoient fort belles, mais elles n’étoient pas bien placées ; il eût fallu donner quelque loisir pour composer cette agréable plainte. » D’Aubignac constate du reste le succès de ce morceau : « Les stances de Rodrigue, où son esprit délibère entre son amour et son devoir, ont ravi toute la cour, et tout Paris » (p. 402).
  2. Var. don rodrigue, seul. (1637-60)
  3. L’édition de 1682 porte par erreur ; « Percé jusqu’au fond du cœur. »