Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/144

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L’Infante.

Tu n’as dans leur querelle aucun sujet de craindre :
Un moment l’a fait naître, un moment va l’éteindre.
Elle a fait trop de bruit pour ne pas s’accorder,
Puisque déjà le Roi les veut accommoder ;
Et tu sais que mon âme, à tes ennuis sensible[1],
Pour en tarir la source y fera l’impossible.

Chimène.

Les accommodements ne font rien en ce point[2].
De si mortels affronts ne se réparent point[3].
En vain on fait agir la force ou la prudence[4] :
Si l’on guérit le mal, ce n’est qu’en apparence.
La haine que les cœurs conservent au-dedans
Nourrit des feux cachés, mais d’autant plus ardents.

L’Infante.

Le saint nœud qui joindra don Rodrigue et Chimène
Des pères ennemis dissipera la haine ;
Et nous verrons bientôt votre amour le plus fort
Par un heureux hymen étouffer ce discord.

Chimène.

Je le souhaite ainsi plus que je ne l’espère :
Don Diègue est trop altier, et je connois mon père.
Je sens couler des pleurs que je veux retenir ;
Le passé me tourmente, et je crains l’avenir.

L’Infante.

Que crains-tu ? d’un vieillard l’impuissante foiblesse[5] ?

Chimène.

Rodrigue a du courage.

  1. Var. Et de ma part mon âme, à tes ennuis sensible. (1637-56)
  2. Var. Les accommodements ne sont rien en ce point. (1638 P.)
  3. Var. Les affronts à l’honneur ne se réparent point. (1637-56)
  4. Var. En vain on fait agir la force et la prudence. (1637 in-12, 38 et 44 in-4o)
  5. Ce vers, dans l’édition de 1682, a une ponctuation différente et qui change le sens :

    Que crains-tu d’un vieillard l’impuissante foiblesse ?