Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/162

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Scène III.

CHIMÈNE, ELVIRE.
Chimène.

Enfin je me vois libre, et je puis sans contrainte
De mes vives douleurs te faire voir l’atteinte ;
Je puis donner passage à mes tristes soupirs ;
Je puis t’ouvrir mon âme et tous mes déplaisirs.
Je Mon père est mort, Elvire ; et la première épée
Dont s’est armé Rodrigue a sa trame coupée.
Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau !
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,
Et m’oblige à venger, après ce coup funeste,
Celle que je n’ai plus sur celle qui me reste.

Elvire.

Reposez-vous, Madame.

Chimène.

Reposez-vous, madame. Ah ! que mal à propos
Dans un malheur si grand tu parles de repos[1] !
Par où sera jamais ma douleur apaisée[2],
Si je ne puis haïr la main qui l’a causée ?
Et que dois-je espérer qu’un tourment éternel,
Si je poursuis un crime, aimant le criminel ?

Elvire.

Il vous prive d’un père, et vous l’aimez encore !

Chimène.

C’est peu de dire aimer, Elvire : je l’adore ;
Ma passion s’oppose à mon ressentiment ;

  1. Var. Ton avis importun m’ordonne du repos ! (1637-60)
  2. Var. Par où sera jamais mon âme satisfaite,
    Si je pleure ma perte et la main qui l’a faite ?
    Et que puis-je espérer qu’un tourment éternel. (1637-56)