Votre Majesté, Sire, elle-même a pu voir
Comme j’ai fait céder mon amour au devoir.
Enfin Rodrigue est mort, et sa mort m’a changée
D’implacable ennemie en amante affligée.
J’ai dû cette vengeance à qui m’a mise au jour,
Et je dois maintenant ces pleurs à mon amour.
Don Sanche m’a perdue en prenant ma défense,
Et du bras qui me perd je suis la récompense !
Sire, si la pitié peut émouvoir un roi,
De grâce, révoquez une si dure loi ;
Pour prix d’une victoire où je perds ce que j’aime,
Je lui laisse mon bien ; qu’il me laisse à moi-même ;
Qu’en un cloître sacré je pleure incessamment,
Jusqu’au dernier soupir, mon père et mon amant.
Enfin elle aime, Sire, et ne croit plus un crime
D’avouer par sa bouche un amour légitime[1].
Chimène, sors d’erreur, ton amant n’est pas mort,
Et don Sanche vaincu t’a fait un faux rapport.
Je venois du combat lui raconter l’issue.
Ce généreux guerrier, dont son cœur est charmé :
« Ne crains rien, m’a-t-il dit, quand il m’a désarmé ;
Je laisserois plutôt la victoire incertaine,
Que de répandre un sang hasardé pour Chimène ;
Mais puisque mon devoir m’appelle auprès du Roi,
Va de notre combat l’entretenir pour moi,
De la part du vainqueur lui porter ton épée[2]. »