Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/222

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Mais après la réponse de don Diègue, la querelle proprement dite n’occupe que six vers, d’un dialogue fort entrecoupé, entre les deux adversaires et le Roi qui les rappelle au respect. Cette vigueur et cette rapidité étaient d’un fort bon exemple, et n’ont point l’inconvénient de ce mot un peu excessif : … ne le méritait pas[1] ! qui donne au vieillard quelque tort de provocation.

Le jeu de scène qui doit suivre le soufflet n’est suffisamment indiqué ni dans l’un ni dans l’autre texte. Il est fâcheux que les grands maîtres ou leurs éditeurs (à remonter jusqu’aux Grecs) aient si souvent négligé ce genre d’indication. Dans le Cid de Corneille, la tradition théâtrale nous fait voir un duel à l’épée qui ne dure que quelques instants, le Comte faisant tomber tout d’abord l’arme des mains de don Diègue[2]. Celui-ci, dans l’espagnol, n’est pas armé peut-être, ou n’a pas recours à son épée. Il lève le bâton sur lequel il s’appuyait. Peranzules, cousin germain du Comte, lui retient le bras. Le Roi, indigné contre Gormas, appelle ses gardes, et ordonne qu’on l’arrête. Il nous faut continuer de deviner l’action scénique : Gormas ne se laisse pas arrêter, il tire probablement du fourreau son épée redoutable, et s’éloigne lentement en adressant au Roi des remontrances et des excuses hautaines, entre autres : « … Pardonne à cette épée et à cette main de te manquer ici de respect. » Le Roi le laisse sortir, s’efforçant inutilement de le rappeler. « Oui, rappelez, rappelez le Comte, s’écrie énergiquement don Diègue, qu’il vienne remplir la charge de gouverneur de votre fils ! etc. Llamadle, llamad al Conde…, etc. » Corneille cite ce mouvement sans expliquer comment il en a fait une éloquente apostrophe dans son fameux monologue ; Comte, sois de mon prince à présent gouverneur[3], etc.


« Achève, et prends ma vie après un tel affront,

Le premier dont ma race ait vu rougir son front[4]. »

De ces deux vers, l’un est trouvé par Corneille, l’autre provient du

  1. Acte I, scène iii, vers 225.
  2. Plusieurs des plus anciennes éditions n’ont pas même cette indication trop courte : don diègue, mettant l’épée à la main ou Ils mettent l’épée à la main (voyez ci-dessus, p. 117 et la note 2) ; le lecteur n’est mis sur la voie que par ces mots : Ton épée est a moi… et plus loin, à la fin de la scène, par ce vers (supprimé à partir de 1660, voyez la note i de la p. 118) :

    « Et mes yeux à ma main reprochent ta défaite. »


    On peut remarquer du reste que ce duel, qui n’est pas dans Castro, eût été une impossibilité de plus pour Corneille, s’il eût dû avoir lieu devant le Roi.

  3. Acte I, scène iv, vers 251 et suivants.
  4. Acte I, scène iii, vers 227 et 228.