Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/245

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l’histoire de souvenirs de faits réels très-répandus dans la tradition, et rattachés plus tard à l’histoire du Cid (dans la seconde partie des Mocedades).

Chimène parait en habits de fête, avec une lettre venue d’Aragon, dont elle affecte de se réjouir, et qui semble promettre que Rodrigue succombera dans le combat ; mais ce qui l’amène en réalité, c’est son inquiétude même, dont elle convient à part pour le spectateur.

Tandis qu’elle alarme le Roi et don Diègue par sa feinte assurance, un dernier artifice assez puéril va terminer ce jeu de magnanimité et dompter enfin sa constance. « Voici venir, dit un messager, un chevalier qui arrive d’Aragon, qui porte la tête de Rodrigue, et qui vient l’offrir à Chimène. » Consternation générale. Chimène désespérée confesse sans ménagement l’amour que sa vertu lui a fait dissimuler. Elle implore du Roi la permission de se retirer dans un couvent pour échapper à un hymen odieux, quand soudain Rodrigue paraît, vainqueur, et offrant sa propre tête… Lui-même il explique l’équivoque qu’il a cru pouvoir employer. Le Roi et les grands pressent Chimène de subir la condition du combat ainsi retournée, et le mariage sera célébré le soir même par l’évêque de Palencia, environ trois ans après le début de l’action.


remarques.


Revenons à Corneille, fin du IVe acte. S’il modifie considérablement son auteur, on voit qu’il l’a très-bien compris. Il lui emprunte le noble congé donné par le Roi à Rodrigue ; il improvise en quelques mots l’idée moins noble de l’épreuve que le Roi va faire lui-même. La fausse nouvelle qu’il donne est fort courte :

« Il est mort à nos yeux des coups qu’il a reçus[1], »


en place du récit que fait le domestique dans l’espagnol. Il est vrai toutefois que le récit plus étendu d’un combat et d’une embuscade donne le temps aux personnages présents d’observer l’émotion croissante de Chimène. Le don Diègue espagnol consent à jouer l’affliction plus qu’il ne fait chez Corneille, et convient à part qu’une telle fiction l’émeut encore de douleur. Chimène, dans son saisissement, prête à tomber en faiblesse, ne dit, en français, que ces mots : Quoi ! Rodrigue est donc mort[2] ? L’espagnol est presque aussi bref, et eut pu être cité :


Muerto es Rodrigo ? Rodrigo
es muerto ?… Ne puedo mas…

Jesus mil veces !
  1. Acte IV, scène v, vers 1340.
  2. Ibidem, vers 1347.