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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/251

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scrupuleux que Corneille, s’arrêter devant l’invention du duel avec don Sanche, quoiqu’il ait reproduit jusque-là ce vague personnage. Quel sera donc le nouveau dénoûment ? Une comédie que le Roi concerte avec don Diègue et Rodrigue. On fait croire à Chimène que sa demande est accordée, que le Cid est condamné à mort. Cachée dans sa prison, elle entend ses plaintes simulées, et quand les gardes viennent comme pour l’emmener au supplice, elle arrache une épée et se charge de défendre son époux. Là-dessus arrivent le Roi et toute la cour.

Jusqu’à ce bel artifice, Diamante n’a fait aucuns frais d’invention, si ce n’est pour intercaler çà et là le caquet d’un valet gracioso très-froidement bouffon. Il mêle aussi au début de l’action les démarches que fait Rodrigue pour se procurer un portrait de Chimène, qui, dans une première entrevue à laquelle Corneille n’avait point songé, lui refuse de se laisser peindre.

La mode du jour avait, ce semble, mis dans l’ombre le drame du Valencien G. de Castro, qui est pourtant resté populaire en Espagne jusqu’à présent. Ce qui est certain, c’est que Diamante paraît n’avoir pas pris la peine de le lire, et que pas un seul mot n’en réveille le souvenir, si ce n’est au travers du texte de Corneille, autant que celui-ci traduit ou imite son devancier. Plus d’une fois il eût été tout simple de reprendre à sa source l’expression originelle : c’est ce qui n’a jamais lieu, et il semble que ce soit un parti pris.

Diamante supprime les sentiments, mais non le personnage de l’Infante, par un ménagement de cour peut-être, plus que de goût. La scène est naturellement rétablie à Burgos, et par suite le grand exploit de Rodrigue contre les Mores a lieu dans les contrées historiques, seule et tacite dérogation aux unités de Corneille. Mais quand le Cid raconte au Roi sa campagne, il lui faut, ayant lui-même rompu une lance avec le chef ennemi Sélim, plus de quarante vers d’une étonnante recherche pour décrire la fringante jument que montait ce prince arabe. À défaut d’autre indice de provenance, on peut reconnaître dans cet extravagant hors-d’œuvre en estilo culto l’influence directe de Philippe IV, si ce n’est même la royale main, dont tant de mauvais vers sont restés confondus avec ceux de ses ingenios, ainsi qu’il était arrivé plus d’une fois au grand Richelieu.

Il est permis aussi de conjecturer, d’après les disparates heurtées du fond et des accessoires, que l’origine de l’ouvrage dut être d’abord quelque cahier de traduction commandé par une volonté imposante, et qu’ensuite le conseil suprême jugea indispensable d’égayer et d’enjoliver à la mode castillane cette pauvre muse française dont on faisait tant de bruit à Paris et dans les Pays-Bas espagnols.

C’était quelque chose d’étrange sans doute que le point de vue