Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/27

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sentait l’Infante. On possède pourtant sur ce point un renseignement très-précis : Scudéry dit dans ses Observations sur le Cid[1] : « Doña Urraque n’y est que pour faire jouer la Beauchâteau[2]. »

Bien que Corneille n’ait pas cru devoir répondre à ce reproche dans sa Lettre apologétique, il semble y avoir été fort sensible, car à vingt-quatre ans de distance, et après sa complète réconciliation avec Scudéry, il écrit dans un de ses Discours[3] : « Aristote blâme fort les épisodes détachés, et dit que les mauvais poètes en font par ignorance, et les bons en faveur des comédiens pour leur donner de l’emploi. L’Infante du Cid est de ce nombre, et on la pourra condamner ou lui faire grâce par ce texte d’Aristote, suivant le rang qu’on voudra me donner parmi nos modernes. »

À la cour, le succès de la pièce fut immense. Corneille nous l’apprend lui-même : « Ne vous êtes-vous pas souvenu, dit-il à Scudéry, que le Cid a été représenté trois fois au Louvre et deux fois à l’hôtel de Richelieu ? Quand vous avez traité la pauvre Chimène d’impudique, de prostituée, de parricide, de monstre, ne vous êtes-vous pas souvenu que la Reine, les princesses et les plus vertueuses dames de la cour et de Paris l’ont reçue en fille d’honneur[4] ? »

Anne d’Autriche, heureuse de voir les passions et les caractères de sa chère Espagne reproduits avec tant de génie et accueillis avec tant de chaleur, tint à donner au poète qui l’avait charmée une marque éclatante de son approbation. Depuis plus de vingt ans Pierre Corneille père remplissait l’office de maître des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, et il avait fait

  1. P. 19 de l’édition en 43 pages et p. 40 de l’édition en 96 pages.
  2. Dans leur Histoire du Théâtre françois (tome V, p. 24, et tome IX, p. 408), les frères Parfait ont conclu de certains passages de la Comédie des comédiens, tragi-comédie de Gougenot, représentée en 1633, qu’à partir de cette époque Beauchâteau et sa femme étaient entrés à l’hôtel de Bourgogne pour ne le plus quitter ; mais le témoignage de Scudéry établit formellement qu’à la fin de 1636 une actrice du nom de Beauchâteau jouait au théâtre du Marais.
  3. Tome I, p. 48.
  4. Lettre apologétique. Voyez aux Œuvres diverses.